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entêté que personne et mourra sans confession. Quirin, le cadet, un homme de procédure et d’astuce : le hasard a fait de lui un prêtre ; il passera son temps à tirer son épingle du jeu. Certes, l’esprit de Léopold entrera en lui, l’habitera, mais comme on a vu, autour de Napoléon, des gaillards ordinaires soudain hantés de son génie et qui devenaient des héros de par l’héroïsme d’un autre : et, l’Empereur parti, ces héros d’un jour retombaient dans leur médiocrité, Quirin, de même, par ses chutes, montrera que la mystique était en lui une étrangère qui abuse de l’hospitalité.

Les trois Baillard, prêtres et qui mènent le rêve religieux au delà des confins où le borne la prudence de l’Église, ces grands rêveurs déchaînés demeurent des campagnards de Lorraine. S’ils vont très loin et s’ils vont (comme on dit) au diable, dans l’aventure intuitive, le fond de leur âme, c’est le désir paysan de posséder la terre. Ce désir, on le prend au sol qu’on laboure, on le prend aux sillons droits qu’on trace et qu’on tracerait volontiers plus avant. Les Baillard l’ont pris sur la colline, au point d’être obscurément les émules des seigneurs qui jadis régnaient à Vaudémont. Mais la colline porte le château et la Vierge : ainsi se mêlent, dans leur désir, cupidité, mysticité, en une synthèse déconcertante et vivante. L’auteur de La colline inspirée eut l’art très juste de ne leur prêter qu’une petite philosophie. Ce n’est point un système d’idées qui les possède ; mais, leurs bribes d’idées, qui toutes seules ne feraient qu’un désordre insignifiant, le désir les dirige et les compose. Il fallait, pour doser ainsi les divers élémens de ces étranges personnages, une fine justesse d’analyse, une admirable entente de la réalité profonde, sa véritable divination. Et c’est où a réussi l’auteur de La colline inspirée, avec une sorte d’habile génie.

Après avoir vu les Baillard aux prises avec leur idéologie fantasque et avec leur extravagance métaphysique, on nous a si bien préparés à eux qu’on peut nous dire sans nous dérouter : « Ils demeuraient les frères de ces robustes garçons de ferme que l’on voit le dimanche, devant l’église, sur la place. Ils étaient la fleur du canton, trois bonnes fleurs campagnardes, sans étrangeté, sans grand parfum ni rareté, mettons trois fleurs de pommes de terre. » Ici, les mots indiquent que l’auteur s’amuse ; et, de ses bonshommes, il fait un heureux croquis. Il y a, dans sa désinvolte gaieté, le contentement de sentir qu’il tient ses bonshommes et qu’il n’a plus à se méfier. Ses bonshommes, les voilà !

Cette jolie aisance est l’agrément de tout ce livre, comme elle en est la prouesse. La difficulté de mettre en œuvre une telle matière où