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nous ramène sur nous-mêmes en nous rattachant à la suite de nos ancêtres. » Ils avaient là leurs travaux, — les conditions du labeur et des journées ne changent pas, — leurs travaux et leur songe : le songe a traversé les siècles et continue. « C’est toujours ici le point spirituel de cette grave contrée ; c’est ici que sa vie normale se relie à la vie surnaturelle. » Un Lorrain qui monte la colline sent des ombres l’accueillir, des ombres qui naissent de son cœur, des ruines et du sol tout chargé dépassé, tout chargé d’antique silence. Un Lorrain, ce fut Léopold Baillard : les ombres de la colline l’ont frôlé ; et il a subi le silence de la colline, un silence où des voix soudain s’élevaient et l’adjuraient de glorifier ce lieu sublime, toutes les voix de la colline, récentes, ou anciennes, ou antiques. Et les « dragons du paganisme » rassaillirent en même temps que les anges chrétiens l’exhortaient.

Ces pages admirables, je les appelais un prélude. Elles sont, en effet, de qualité musicale ; ou bien l’on ne sait quel est leur artifice, pour vous ravir et vous convaincre. On dirait que, du paysage, surgit l’esprit du paysage ; et cet esprit du paysage se réalisera dans les âmes singulières de ces Baillard, de sorte que ceux-ci, tout en gardant leur singularité, nous deviendront évidens et naturels : nous aurons cru les attendre.

Les voici tous les trois. Léopold est le plus chimérique et il est le chef. Quant à ses dehors, un curé de campagne. Un peu lourd, il s’assied, « ses larges mains aux ongles noirs étendues comme mortes sur sa soutane couverte de taches. » Seulement, son regard passe au-dessus des gens avec lesquels il cause ; il a au coin des lèvres un sourire « orgueilleux et acquiesçant, » et ses yeux, sur les gens, opèrent une fascination bizarre : le feu secret qui est en lui lance des flammes invisibles, mais fortes. François : un grand garçon très gai, jovial même et qui vous traite le mystère avec une familière bonhomie. Il a de la repartie et présume qu’il n’est pas de ceux à qui l’on en fait accroire : et puis il est crédule comme pas un. Quand Léopold, de Tilly-sur-Seulles où Vintras l’endoctrine, écrit à la petite communauté, raconte les miracles et toute la thaumaturgie de l’imposteur dont il est dupe, François éclate de rire. Mais il est curieux. Il va donc à Tilly-sur-Seulles, rejoint son frère, connaît Vintras et, comme un autre, cède aux argumens de l’absurdité. Vintras le nomme Pontife de Sagesse. Et, au retour, il annonce qu’il est ce Pontife de Sagesse. Mais, en l’annonçant, il éclate de rire encore : « Vous êtes bien étonnés ? Je l’ai été plus que vous ! « Il ajoute : « En voilà, des merveilles ! » Et il n’a aucun doute ; mais il admire joyeusement l’imprévu. Il sera plus