Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sa méthode ? — Son livre, dit-il, est sorti « d’une infinie méditation au grand air, en toute liberté, d’une complète soumission aux influences de la colline sainte, et puis d’une étude méthodique des documens les plus rebutans. »

Je vois (si j’ose ainsi parler) d’ici Gabriel Monod !

Les documens ne rebutaient pas Gabriel Monod ; d’ailleurs, je crois qu’il ne méditait pas infiniment au grand air et je suis sûr qu’il n’aurait jamais soumis à l’influence de nulle colline le choix de ses conclusions. Plutôt, il ne concluait pas.

M. Maurice Barrès a une tout autre idée de l’histoire. Il ne se contente pas d’une collection minéralogique pour témoigner d’un volcan. L’histoire, il la veut fraîche et vivante ; il la veut telle que les documens ne la donnent pas, mais telle que, sur les documens, la ressuscite une imagination très attentive et chaleureuse. À mon avis, il aurait dû citer un peu les documens : on a plaisir à voir où commence et où finit la certitude matérielle, où commence la conjecture ; du moins, j’ai plaisir à le voir et plaisir à voir la conjecture naître et s’épanouir, tandis que ma persuasion l’accompagne de tous ses vœux craintifs et vigilans Ce n’est pas le goût de M. Barrès. Et, quand Chateaubriand, pèlerin de l’Hellade enturbanée, visitait Argos, le bon Avriamotti. sans génie aucun, lui offrait les services d’une patiente érudition ; mais Chateaubriand l’écartait, disant qu’il n’avait pas besoin de tout ça. M, Barrès a plus d’analogie avec Chateaubriand qu’avec Gabriel Monod ; et il a pris la bonne part.

S’il dédaigne peut-être les petites précautions des érudits, et voire avec un peu de superbe, il ne dédaigne pas la vérité, certes. Son livre est tout plein du désir de la vérité ; son livre est tout plein de vérité. Mais, s’il ne sépare pas le document de la conjecture, c’est (en dépit de l’apparence) que son procédé ne le lui permet pas : c’est amour de la vérité encore, et de l’authentique vérité, de celle qu’on rattrape dans le passé, brûlante et palpitante comme la vie. Cette vérité-là, dans les paperasses qu’ont laissées les Baillard, est morte. L’étincelle qui la peut embraser : l’imagination. Seulement, une imagination qui ne se livre point à ses velléités ; une imagination docile aux réalités et qui réussisse le paradoxe d’unir à la fibre intuition l’obéissance la plus dévouée. Il ne faut pas qu’elle invente : il faut qu’elle devine ; et c’est l’invention de la vérité.

M. Barrès qui, autrefois, a formulé (avec quelle délicate maîtrise !) les méthodes du moi, se montra ensuite soucieux du non-moi et de ses méthodes. Il les employa dans le pur chef-d’œuvre de Colette Daudoche.