Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voilà, en résumé, l’anecdote que, dans La colline inspirée, raconte M. Maurice Barrès.

Anecdote vraie. Et récente : le vieux Baillard est mort en 1883. Autour de la colline, là-bas, le souvenir des hérésiarques dure encore ; mais il diminue. L’oubli aura d’autant plus vite raison des Baillard qu’on évita de parler d’eux au moment où leur nom suffisait à évoquer des repentirs : les repentirs de ceux qui, ayant suivi les Baillard, s’étaient dressés contre l’Église et les repentirs de ceux qui, ayant bafoué les Baillard, ne savaient plus s’ils n’avaient pas offensé la miséricorde. Il est tombé sur la mémoire des prêtres inquiétans un étrange silence, composé de vergogne et de pitié. L’auteur de La colline inspirée entendit, enfant, leur mention passer dans les causeries. Et l’on n’insistait pas ; on éludait le détail. Aujourd’hui, une demoiselle septuagénaire avoue qu’étant jeune fille et descendant, par une chaude après-midi, la côte de Sion, elle a vu un homme et une femme, près de la route, bêcher les pommes de terre. L’homme avait un pantalon de treillis, comme en ont les soldats à la caserne, et un vieux chapeau de paille ; la femme, une jupe courte : et, l’un et l’autre, les pieds nus dans des sabots. Ils saluèrent la jeune fille et M. Magron, curé de Varonval, oncle de la jeune fille et qui l’accompagnait. La jeune fille dit au curé : « Ils vous ont salué, mon oncle, comme des gens qui vous connaissent… » Et M. Magron répondit : « C’est le grand François et la sœur Euphrasie. Je n’ai pas voulu m’arrêter ; mais, tout de même, ça m’a fait quelque chose… » Sur cette rencontre furtive, un demi-siècle s’est tassé. Puis interrogez, là-bas, les vieilles gens et les jeunes : vous n’aurez rien que d’évasif ou d’ignorant. Et ainsi se perdait la singulière et condamnable renommée des Baillard.

L’auteur de La colline inspirée cherchait en vain les Baillard, dans tout le pays. Il les cherchait avec une avide curiosité, que nul récit ne satisfaisait : curiosité qu’éveille, chez un psychologue, le cas si surprenant du mauvais prêtre ; et curiosité particulière, pour ce Lorrain qui réclame à ses morts le secret de son individualité, c’est-à-dire le double secret de son tumulte et de sa règle. Et les Baillard semblaient perdus, quand il découvrit, à la bibliothèque de Nancy, sous les numéros 1592 à 1635, les papiers des Baillard, correspondance, visions, entretiens, révélations divines, annales, pièces de procédure, prières, livres de comptes, enfin tout un immense grimoire, et qu’il dépouilla.

Bref, c’est de l’histoire, qu’a, cette fois, écrite M. Maurice Barrès. Qu’est-ce, pour lui, que l’histoire ?