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L’extension des attributions de l’État, qui est un des caractères de l’évolution des sociétés modernes, tend à faire passer par ses caisses des sommes de plus en plus fortes. Nous avons montré quelques-unes des conséquences de ce phénomène, dont l’intensité, selon toute vraisemblance, ira plutôt en augmentant qu’en diminuant. Il est un de ceux qui démontrent les progrès que fait chaque jour ce que l’on peut appeler l’internationalisation des intérêts. On eût bien étonné nos pères en leur disant qu’au XXe siècle les plus grands empires ne craindraient pas de laisser une partie de leurs trésors de guerre en dépôt à l’étranger, parfois même chez des nations dont rien ne prouve qu’elle ne seront pas leurs adversaires de demain. Certes, ces dépôts ne courent point de risques sérieux ; la rigueur des engagemens commerciaux, la facilité de rapatriement des sommes déposées même en des points très éloignés sont telles, qu’un crédit de banque peut presque être considéré comme l’équivalent d’une encaisse métallique détenue par le propriétaire des fonds. Mais nos observations n’eussent-elles d’autre résultat que celui d’attirer l’attention sur un état de choses nouveau, sans analogie dans l’histoire des siècles passés, qu’elles ne nous paraîtraient pas inutiles. Elles indiquent une fois de plus la tendance des peuples modernes à étendre leur activité économique au delà de leurs frontières : ce ne sont pas seulement les particuliers qui placent au dehors une partie de leur fortune, mais les Gouvernemens eux-mêmes qui se trouvent amenés à suivre cet exemple et à donner des argumens à ceux qui espèrent que ce chevauchement d’intérêts, ces rapports incessans, même bornés au champ des intérêts matériels, assureront une détente durable dans les relations internationales. C’est une vérité dont sont certainement pénétrés les diplomates qui se sont réunis à Londres à la fin de l’année 1912, et qui, dans les graves discussions d’où doit sortir un remaniement de la carte de l’Europe Orientale, ne sauraient oublier la situation financière des Etats qu’ils représentent.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.