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Andrinople avec elles, mais par le Nord ; la 1re par Vaisal, refoulera devant soi, dans la direction de cette place, la cavalerie turque chargée du service de découverte et couvrira l’approche de la 3e armée, qui continue de cheminer en arrière, à huis clos.

Celle-ci trouve dans Umur-Fakik un centre d’approvisionnement spécial, alimenté encore par Bourgas et desservi par des convois de réquisition. C’est ici le premier essai du mode de ravitaillement, proprement bulgare, et le premier effet d’une autre mobilisation complémentaire de celle des hommes : la mobilisation des bœufs. À défaut de convois et de parcs, le service des étapes utilise des colonnes de chariots agricoles ; les uns transportent des vivres et les autres des munitions ; des enfans, des vieillards, les seuls mâles restés dans les villages, les ont amenés, heureux de servir, d’être nourris, car tous sont devenus des rationnaires, et de recevoir des bons qui ne sont encore que du papier, mais qu’après la victoire le trésor bulgare paiera avec de l’argent européen. Ils cheminent à trois kilomètres par heure, à cinq lieues par jour, se déchargent sur les trains régimentaires, reviennent à vide et recommencent aussitôt leurs lentes navettes.

Grâce à eux, tous les régimens de la 3e division ont pu se recompléter à neuf jours de vivres, avant de franchir la frontière. Le lendemain 20, par des pistes à peine tracées, dans un labyrinthe de rochers et de ravines, les colonnes du général Dimitrief atteignent et dépassent la crête de l’Istrandja. Tantôt elles s’approchent et tantôt elles s’écartent ; elles s’éloignent et tout à coup émergent sur une hauteur ; elles reviennent, mais c’est pour disparaitre dans un bas-fond. L’ennemi les ignore toujours, tandis qu’elles se révèlent ainsi les unes aux autres. Les canons enfoncent jusqu’au moyeu, les hommes enfoncent jusqu’au genou ; pareils aux ennemis de Macbeth, qui s’avançaient en se couvrant de branches et réalisaient ainsi la prophétie de la sorcière, ils descendent par les couverts boisés, ils sont, eux aussi, une forêt en marche, une nation en armes, un fourré de soixante-quinze mille baïonnettes, que la guerre attire et qui vont à la bataille comme vers une montagne d’aimant.


Devant cette marche à la victoire, quelle contenance l’armée turque pourrait-elle faire ? Quel ralliement ? Quel geste ? Quel