Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est celui de Cicéron : « Je jure que j’ai sauvé la patrie ! », mais ses formes sont moins concises. Il parle six heures d’horloge, émeut les uns, lasse les autres, et laisse l’assemblée vaincue par sa force, son éloquence, son patriotisme et son autorité. Chacun sait trop bien que les événemens marchent ; ces épisodes du dedans sont liés à de grandes affaires du dehors ; et, quoique par un chemin désagréable, la citation du général en haute-cour mène, après tout, là où l’on veut aller. Plus populaire sous la redingote d’officier de réserve qu’il ne l’avait jamais été sous la tunique, il reste le généralissime désigné. Tous les emplois sont distribués ; les rôles, appris ; et l’on sait encore qu’au jour de la proche échéance, il aura sous ses ordres, comme le premier de ses collaborateurs, un homme fait autrefois pour être son ennemi et son rival.

Le général Radko Dimitrief commandera la troisième armée. Les compatriotes l’appelaient : « Napoléontcheto, » — notre Napoléon, — dès avant que ses succès de Kirk-Kilissé et de Loule-Bourgas eussent justifié ce surnom glorieux. C’est qu’avec moins de mobilité dans les traits, le pli d’une contention d’esprit plus grande et d’un labeur plus ouvrier, son masque bulgare a quelque chose en effet de napoléonien. Né en 1859 à Gradez, au pied du Balkan, il rêve, enfant, du secours russe, il va de cœur vers la sainte Russie, par la pente du sentimentalisme et de l’idéalité. Volontaire en 1877, lieutenant rouméliote, élève à l’académie d’état-major Nicolas, combattant remarqué des journées serbo-bulgares, il a traversé toute la Roumélie d’une frontière à l’autre, par marches forcées, pour venir se battre à Dragoman, à Tsaribrod et Pirot. En 1886, il est l’un des acteurs principaux du drame dénoué dans la nuit du 21 au 22 août par la démission d’Alexandre de Battenberg ; en 1887, l’un des « émigrans » les plus réfractaires à la politique de Stamboulof. Son pacte d’amour avec la Russie se change alors en contrat de service. A Sofia, ses contemporains deviennent ministres ou chefs d’état-major ; lui, toujours capitaine, commande pendant onze ans au Caucase la même compagnie de grenadiers.

D’autres laborieuses années lui seront nécessaires au retour, pour se faire, à la bulgare, par la patience têtue et l’effort silencieux, une place digne de ses mérites et de ses facultés. Celle de chef d’état-major général lui est enfin offerte en 1903 ; il se trouve ainsi, quant au plan de guerre et à la mobilisation,