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Le nationalisme exclusif de Stamboulof n’avait été qu’une réponse à l’indifférence altière dans laquelle le « Tsar pacifique » s’enfermait. Mais peut-être était-ce un « Tsar libérateur » qui venait de monter sur le trône et ferait-il pour les Macédoniens non rédimés ce qu’Alexandre II avait fait pour les bratouchkis ? C’était cet espoir patriotique qui venait de modifier instantanément l’opinion bulgare. Il reposait sur ce fait nouveau, que la Russie maîtrisait maintenant la Mer-Noire, grâce à l’escadre spéciale construite à grands frais de 1880 à 1890 ; elle disposait ainsi d’une voie commode pour jeter sur la côte bulgare ou sur la côte turque, vers Bourgas ou vers Derkos, un corps de débarquement, et pour s’affranchir des difficultés qu’aurait soulevées la marche de ce corps si, comme l’armée russe en 1877, il avait dû traverser le territoire roumain. Cet appoint stratégique pourrait n’être numériquement que peu de chose, par exemple l’un seulement des corps d’armée russes installés dans la circonscription d’Odessa, car son importance se mesurerait au poids de la Russie tout entière et à la gravité qu’aura toujours la moindre intervention de sa part dans les affaires d’Orient. On devrait en prévoir la répercussion sur l’Europe centrale et se tenir prêt à en répondre sur le Prout et sur le Séret, sur la Vistule et sur le Boug. Plus encore : cet effort extensif de la Russie pourrait entraîner celui de son alliée. Il était donc naturel que, tout en gardant pour d’autres frontières le gros de ses contingens métropolitains, elle réduisît au minimum sa contribution balkanique éventuelle et qu’elle voulût rester libre de choisir l’heure, le lieu et le mode de sa coopération.

Sous ces réserves expresses, le secours espéré d’outre-mer fut en effet promis aux Bulgares. L’académie d’état-major Nicolas leur rouvrit ses portes : elle ne les a plus refermées depuis. Les « émigrans » de 1887 revinrent à leur armée d’origine ; ce qu’ils rapportaient avec eux de fidèle et d’ému refleurit dans la commémoration commune des souvenirs militaires de 1877. En 1902, — vingt-cinquième anniversaire, — on inaugura, au pied du défilé de Chipka, une église et un séminaire russes. Sur les pentes du Balkan, dans la plaine de Cheïnovo, un jubilé de grandes manœuvres évoqua devant le grand-duc Nicolas, devant les généraux Stolétof, Dragomirof, Kouropatkine, les combats auxquels ils avaient pris part ; des parades solennelles firent défiler devant eux une armée prête à faire vers Constantinople