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et, de l’autre, l’armée bulgare proprement dite. Celle-ci, encadrée par 250 officiers spécialement détachés de la métropole, fut habillée, équipée, armée et commandée à la russe. Nul doute que ce premier apprentissage ne lui ait été profitable : il lui donna un vocabulaire, des formes de manœuvre, des règlemens, un service intérieur qu’elle n’avait pas, et lui prêta, pour s’instruire, ces ressources d’organisation et d’outillage qui n’existent que dans les pays parvenus à un degré de développement avancé. L’importance de ce dernier service apparaît par ce simple fait qu’au cours des opérations actuelles devant Tchataldja, les Bulgares utilisent les mêmes cartes de une verste au pouce dont les Russes s’étaient servis pendant la guerre de 1877-1878.

Cependant l’accord parfait qui avait existé d’abord entre les élèves et les maîtres se gâta bientôt. La rusticité et l’inexpérience des bratouchkis (petits frères) bulgares les fit traiter plus d’une fois avec hauteur par leurs instructeurs ; ce peuple fier en resta profondément blessé dans ses goûts démocratiques et dans l’orgueil récent de sa liberté. Le prince Alexandre de Battenberg cherchait, dans le même temps, à s’affranchir de la tutelle politique russe et secouait le contrôle des ministres envoyés de Pétersbourg pour présider son conseil ou pour administrer son armée. On sait qu’après une série de coups d’état, qui étaient aussi des coups de tête, il parvint, en 1884, à s’émanciper, et qu’alors un mouvement pan-bulgare se dessina dans le pays sous le ministère radical Karavelof.

L’année suivante vit la crise de croissance au cours de laquelle l’armée sentit pour la première fois sa force et d’où elle sortit adulte. A la révolution de Philippopoli (18 septembre 1885), à la proclamation de la réunion de la Roumélie à la Bulgarie, la guerre serbo-bulgare succéda presque aussitôt ; pas assez vite cependant pour que la Russie n’eût pas le temps de rappeler à elle ses instructeurs. L’armée bulgare perdait ainsi, d’un seul coup, à la veille même des hostilités, tous ses officiers supérieurs et la plupart de ses capitaines.

Victorieuse quand même à Slivnitza (17-19 novembre), l’intervention d’une grande puissance l’arrêtait le 2 décembre par un armistice. Le choc serbo-bulgare n’avait été de la sorte qu’un acte fratricide, dû, de part et d’autre, à l’éveil fougueux du sentiment national et bientôt interrompu du dehors en raison de