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Réduites à n’être, pour ainsi dire, que des taches de fumée dans un paysage, elles s’enchaînent étroitement les unes aux autres et se rangent à leur plan exact dans le cadre que l’état-major de Sofia avait tracé. Car elles étaient prévues pour lui, ces victoires. S’il ne pouvait en dire au juste la date et le lieu, il savait qu’elles étaient certaines et qu’en marquant dans l’histoire l’avènement de la nation, elles seraient pour elle le prix d’un patriotique effort et le triomphe d’une longue préparation.

La justesse de cet aperçu se confirme, quand on remonte dans le passé jusqu’aux origines militaires de la Bulgarie et qu’on se rend compte de la continuité, de la ténacité avec lesquelles le développement de ses forces a été conduit. On suit, sur une seule trame, les phases d’un long rassemblement, d’un acheminement patient, d’un engagement soudain ; on voit des causes profondes, anciennes, intervenir pour établir entre les masses qui s’abordent une différence d’espèce, pour réduire la crise du champ de bataille à n’être plus qu’affaire de circonstance et de modalité, et, partout où tombent les dés de la guerre, à faire du succès le salaire dû en effet à la persévérance et au courage du vainqueur.


Une des qualités les plus précieuses de l’armée bulgare est sans doute de n’avoir que quarante ans d’âge et d’ignorer les maux dont souffrent parfois les vieilles armées dans les vieux pays. Ses institutions symétriques ont vu le jour dans l’espace d’une ou deux générations ; sur un sol tout neuf, elles ont rapidement grandi. Pas de tradition chez elle, mais du réalisme et de l’objectivité. Un corps d’officiers demeurés jeunes, dont aucun n’a eu le temps d’arriver à la retraite et qui tous, grâce au constant élargissement du cadre, sont aisément montés dans la hiérarchie là où leur valeur spécifique devait les porter. Enfin, c’est encore un bienfait pour elle, de n’avoir subi qu’au début l’influence étrangère et, le secours du dehors lui manquant bientôt, de s’être vue contrainte à tirer tout de son propre fonds.

Des officiers russes commandaient les droujinas bulgares formées pendant la guerre de 1877-1878. Elles se développèrent jusqu’à trente bataillons à la cessation des hostilités, puis se partagèrent en deux pour former d’une part la milice rouméliote