Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il soit, le secret de l’avenir appartient à ceux qui n’ont encore rien dit. C’est d’eux, — hélas ! ce ne pourrait être des autres, — qu’il faut attendre ce qui nous manque et ce que nous désirons si fort : un peu de stabilité, un peu de certitude, un peu de foi. Puissiez-vous nous l’apporter, ô jeunes inconnus dont on ne parle pas ! et si vous en avez les germes, puissiez-vous avoir assez d’instinct encore pour les laisser mûrir à l’abri de la clairvoyance qui les illumine et les corrompt[1] ! »

Jusqu’ici le développement de la pensée, du talent et de l’œuvre d’Edouard Rod a été remarquablement logique, et, si je puis dire, tout rectiligne. On sait la célèbre parole de Pascal : « La science des choses extérieures ne me consolera pas de l’ignorance de la morale au temps d’affliction ; mais la science des mœurs me consolera toujours de l’ignorance des choses extérieures. » On en pourrait faire l’application à l’auteur du Sens de la vie. Tout d’abord, très jeune d’ailleurs, et sous l’influence du naturalisme contemporain, il s’est laissé séduire aux choses extérieures. Puis ayant reconnu, pour lui surtout, la vanité de cette étude, entraîné du reste par le mouvement des idées ambiantes, il s’est épris de la science des mœurs, et, après avoir largement payé tribut au pessimisme, ressaisi par la vie réelle, il en vient à reconnaître l’étroite union, la solidarité nécessaire du problème moral et du problème religieux ; la solution du problème religieux lui-même, il ne la trouve que dans le catholicisme. Arrivé là, où ira-t-il désormais ? Il semble que la question qui se pose alors pour lui soit la suivante. Fera-t-il comme quelques autres ont fait depuis, qui, par leur attitude de pensée, paraissaient pourtant beaucoup plus éloignés du catholicisme, et adhérera-t-il au Credo non seulement « des lèvres, » mais du cœur et de l’esprit[2] ? La solution eût été assez naturelle et logique ; elle n’eût, je crois, surpris personne : et elle aurait mis assurément dans la suite de son œuvre l’unité et la continuité que nous présentent ses premiers écrits. Ou bien, content d’avoir montré le port à autrui, se lais sera-t-il reprendre et dominer par le scepticisme intellectuel, par « le tenace individualisme

  1. Le Jeune homme moderne (Figaro du 3 janvier 1890), non recueilli en volume.
  2. Qu’il en ait été parfois très fortement tenté, c’est ce que j’incline volontiers à croire. Il avait annoncé, pour faire suite au Sens de la vie, un livre qu’il eût intitulé Vouloir et Pouvoir, et qu’il renonça à écrire. Ce projet non exécuté ne serait-il pas un signe de ce que j’avance ici ?