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elles les appellent éperdument. Si vous voulez les conquérir, donnez-leur ce qu’elles vous demandent ; et comme vous ne trouveriez en vous-même ni cette espérance, ni cette certitude qui seraient le ciment de vos échafaudages, allez les chercher là où vous les trouverez, c’est-à-dire dans l’Église. Seule elle pourra vous fournir l’autorité collective et séculaire qui appuiera la vôtre et fera qu’on vous croie, et les bienfaisantes promesses attendues qui feront qu’on vous suivra[1].


Tout cela était admirablement vu, et l’on sait comme, sur tous ces points, l’avenir a donné raison à Rod. Je ne crois pas que, — parmi les incroyans tout au moins, — personne alors ait aussi nettement aperçu les vraies conditions du problème moral moderne. « Au fond, j’ai l’âme d’un croyant tombé dans le scepticisme, » disait le héros du Sens de la vie, parlant évidemment au nom de l’auteur lui-même. Et c’était vrai : et son sens chrétien était tel que non seulement, — chose extrêmement rare pour un protestant d’origine, — il rendait pleine justice à l’Église catholique, mais encore que, passant par-dessus le protestantisme, à l’égard duquel il n’a pas toujours été équitable, il voyait en elle la dépositaire unique du christianisme authentique, et que, s’il avait eu la foi, il n’est pas douteux qu’il lui eût donné son adhésion. Mais, d’autre part, son scepticisme restait inébranlable : il n’avait pas la foi, et il en souffrait peut-être, mais il lui eût répugné de donner le change sur ce point essentiel à lui-même et aux autres, et, tout en donnant raison aux chrétiens, plus même que certains de ses amis ne l’eussent souhaité, il se refusait, par scrupule intellectuel et par loyauté morale, à faire le geste de croire, à encourager de fâcheuses équivoques et de généreuses, mais utopiques illusions. « Soit ! — disait-il à M. Desjardins, dans ce même article sur le Devoir présent, — soit ! je souscris à tous les points de votre programme pratique, je veux être positif avec vous ; mais c’est sans contentement, sans illusion, sans une parcelle de cette joie divine que vous avez décrite en termes ravissans ; c’est en attendant autre chose, en attendant mieux, en attendant la foi que vous ne pouvez communiquer, que vous avez renoncé à prêcher, qui seule pourtant éclairerait la route où vous vous engagez. La route ?... Hélas ! qui me dira ici si ce n’est point une impasse ? » Et dans un autre article, sur le Jeune homme moderne : «. Quel

  1. Le Devoir et la Foi (Journal des Débats du 12 janvier 1892).