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enfin que cet altruisme même manque de base, et que seule la religion peut lui en fournir une.


Cependant, la foule s’écoulait aux grondemens de l’orgue déchaîné en alleluia magnifique. L’église vide semblait un monde, et ses voûtes étaient comme un ciel infini. Quelques fidèles allaient s’agenouiller dans les confessionnaux et l’on voyait glisser des ombres blanches de prêtres. Je m’attardais à chercher Dieu au pied des piliers de la maison, je rêvais d’orienter ma route vers le port accessible à tous les navires, je songeais à l’acte de volonté qu’il s’agit d’accomplir pour qu’aussitôt la proue fende les flots dans la direction vraie. Il fallait seulement chasser les derniers doutes, il fallait substituer à mon cantique impie quelqu’une de ces humbles prières que la Foi murmure de ses lèvres d’enfant. Je sentais l’heure décisive, comme celle où Paul fut frappé sur le chemin de Damas, et dans un double effort pour faire jaillir de ma mémoire les formules perdues et pour secouer de ma pensée le joug de l’esprit qui nie, je me misa murmurer — des lèvres, hélas ! des lèvres seulement : Notre père qui êtes aux cieux !... »


Ce devait être là, on se le rappelle, une année plus tard, la conclusion aussi du Disciple de M. Bourget :


Les mots de la seule oraison qu’il se rappelât de sa lointaine enfance : « Notre Père qui êtes aux cieux... » lui revenaient au cœur. Certes, il ne les prononçait pas. Peut-être ne les prononcerait-il jamais...


Ce que le Disciple a été dans l’œuvre de M. Bourget, le Sens de la vie l’a été aussi dans l’œuvre d’Edouard Rod. Seulement, M. Bourget est allé plus loin dans l’affirmation que le philosophe Adrien Sixte. Edouard Rod, lui, n’a jamais dépassé l’état d’esprit final du héros du Sens de la vie, — si même il n’est pas quelquefois revenu en arrière.

Le Sens de la vie est inséparable des Idées morales du temps présent (1891). Dans ces trois années d’intervalle, absorbées, ce semble, pour une large part, par l’enseignement d’Edouard Rod à l’Université de Genève, ce qu’on appelait alors le « néo-christianisme » avait pris corps ; le nombre des « cigognes » annonciatrices s’était multiplié : le Disciple avait paru, et les Remarques sur l’Exposition du Centenaire, et le Dix-huitième siècle de M. Faguet ; les articles de Taine sur l’Église allaient paraître ; on écoutait les prédications laïques de M. Lavisse, on allait bientôt lire le Devoir présent, de M. Paul Desjardins. C’est précisément à M. Paul Desjardins que sont dédiées les Idées morales du temps présent. Le livre était une enquête un peu rapide, un peu