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quelle fièvre nous ouvrions les livres nouveaux où l’on essayait de deviner l’énigme qui nous obsédait ! Nous venions de lire le Roman russe et les grandes œuvres qu’il présentait et commentait : un grand souffle de générosité et de pitié avait passé sur nous. Nous aussi, comme l’auteur de la Course à la mort, nous en avions assez du naturalisme, et nous aspirions à une vue plus exacte et plus haute de la nature et de la vie. Comment n’aurions-nous pas été acquis d’avance à une œuvre où se reflétaient toutes nos tendances, et qui agitait la question fondamentale que notre conscience posait à notre raison ?

Question de tous les temps d’ailleurs, question éternelle comme l’humanité pensante, puisque toute philosophie, toute religion se ramène là. Que nous importent les plus subtiles théories de la métaphysique, que nous importent les rites et les pratiques prescrits par les théologiens, si nous ignorons ce que nous sommes venus faire en ce monde, le pourquoi de notre existence, et si rites, théories et pratiques ne sont pas en un étroit rapport avec l’idée même de notre destinée ? Le problème philosophique et moral et religieux par excellence, c’est donc bien celui du sens de la vie, puisque c’est celui de la destinée humaine. En faisant de ce problème le sujet même de son livre, en même temps qu’il était sur d’attirer l’attention de toute une jeunesse particulièrement préoccupée de questions morales, Edouard Rod risquait d’écrire un ouvrage qui fût éternellement d’actualité. S’il y a un livre pascalien dans son œuvre, c’est celui-là.

On en connaît la donnée. Un jeune homme moderne, très moderne, — le héros sans doute de la Course à la mort, — revenu de bien des illusions et détaché de toute croyance positive, rongé par l’esprit d’analyse, en proie au plus noir pessimisme, vient de se marier avec une amie d’enfance. Il tient en quelque sorte au jour le jour le journal de sa pensée et des principaux événemens de sa vie : il se pose constamment le problème du pourquoi de l’existence. Mais la vie réelle le prend dans son engrenage et substitue peu à peu à ses idées négatives d’autrefois des idées plus positives et plus saines. Après le mariage, la paternité : le sentiment paternel s’éveille lentement en lui ; il s’éveille pourtant, aiguisé par le danger mortel qui menace son enfant. Puis, la mort d’une vieille amie, dont la vie a été toute de dévouement et de sacrifice, lui révèle le prix de l’altruisme. Il s’y essaie gauchement à son tour, et sans grand succès. Et il découvre