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idéal des nouveaux écrivains. Il devait résulter de ces principes une forme d’art nouvelle que le jeune romancier s’efforçait de définir ; il proscrivait les descriptions, les récits rétrospectifs, les « scènes ; » il voulait « échapper plus complètement à la tyrannie des faits trop concrets et des figures trop précises, afin que leur sens général put se dégager plus facilement ; » bref, il s’agissait de « revenir, sous une forme à trouver, au symbole. »

Ce programme était peut-être un peu vague, et l’on pourrait en discuter les articles ; en tout cas, il était curieux comme expression d’un nouvel état d’esprit, et comme témoignage d’une réaction assez violente contre les tendances et les procédés du naturalisme ; et c’est dans cet esprit nouveau qu’ont été écrits la Course à la mort et le Sens de la vie.

J’insisterai peu sur la Course à la mort, « celui de mes livres qui m’a coûté le plus d’efforts, disait Rod, celui auquel je resterai toujours le plus attaché. » On aime toujours son premier succès, et la Course à la mort avait eu un succès assez vif dans la jeunesse lettrée d’alors, pour que Sarcey s’en alarmât et discutât les tendances pessimistes de l’ouvrage. « L’archiprêtre du bon sens » n’était point pessimiste. L’œuvre d’ailleurs, sans être capitale, était fort intéressante, et, bien qu’elle ait un peu daté, si le sens en était moins obscur, si les conclusions en étaient plus nettes, si le style en avait plus de force et plus d’éclat, elle justifierait peut-être encore aujourd’hui l’intime préférence de l’écrivain. Évidemment, celui-ci a mis beaucoup de lui-même, de son autobiographie morale, et même matérielle, et le fond peut-être de sa philosophie, dans cette sorte d’Oberman moderne, qui n’est pas un roman, — Rod s’en rendait bien compte, — mais bien plutôt un poème en prose, et, sous forme de journal intime, une longue lamentation pessimiste sur la vanité de tout effort humain. S’il y avait bien encore un peu de « littérature » dans tout cela, — on était à l’époque où Schopenhauer avait en France la vogue que Nietzsche a obtenue depuis, — il y avait pourtant autre chose aussi. Dans l’aveu de ce scepticisme douloureux et inquiet, dans cette obsession et cet appétit de la mort où tout va sombrer et s’anéantir, on sentait vibrer la sincérité vécue d’une sombre plainte, et qui, si elle avait trouvé une forme assez puissante, aurait pu être fort belle.


Les plus désespérés sont les chants les plus beaux.