Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

part, ses insuccès répétés, — ses heureux insuccès, — allaient achever d’éclairer sur sa méprise l’auteur de Palmyre Veulard. Une fois, deux fois, on peut bien accuser son éditeur d’un échec ; sept fois de suite, c’est difficile, et, quand on a un peu de bon sens, mieux vaut s’en prendre à soi-même qu’à son libraire ou au public. Rod était modeste, et il ne manquait pas de bon sens ; il devait vaguement sentir d’ailleurs qu’il y avait en lui quelque chose de différent des autres, une personnalité, peut-être encore embryonnaire, mais qu’il s’agissait de dégager et de développer. Cette personnalité, il ne serait peut-être pas impossible, en cherchant bien, dans ses premiers romans, d’en entrevoir les premiers linéamens. Il semble qu’elle ait assez vivement frappé Maupassant, qui disait de son jeune confrère : « Grandi parmi les protestans, il excelle à peindre leurs mœurs froides, leur sécheresse, leurs croyances étriquées, leurs allures prêcheuses. Comme Ferdinand Fabre racontant les prêtres de campagne, il semble se faire une spécialité de ces dissidens catholiques, et la vision si nette, si humaine, si précise, qu’il en donne dans son dernier livre. Côte à Côte, révèle un romancier nouveau, d’une nature bien personnelle, d’un talent fouilleur et profond. » Il fallait mériter pleinement cet éloge, justifier ce pronostic, que le public ne ratifiait pas encore[1].


III

Le public avait raison : le public n’a pas toujours, il a souvent raison. Sous les traits d’emprunt dont il s’affublait, les lecteurs désintéressés ne distinguaient pas nettement « le romancier nouveau » qu’on leur annonçait. C’est ce dont Rod paraît s’être avisé d’assez bonne heure. Le problème qui se posait à lui, et qui se pose à tous les écrivains, à un moment donné de leur existence, après les tâtonnemens et les inévitables, les nécessaires imitations du début, c’était celui de la conquête de la personnalité. Puisqu’il se sentait, puisqu’on lui reconnaissait une originalité personnelle, il se devait à lui-même et aux autres de la dégager. Mais comment y parvenir ? Pour être soi, il faut tout d’abord se bien connaître. Pour se bien connaître, il faut

  1. Le feuillet de garde de l’Autopsie du Docteur Z... accuse une 5e édition de Côte à Côte : ce doit être un « bluff » de l’éditeur ; je ne crois pas que le livre ait eu plus d’une édition.