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lui, par contraste et dans l’espoir de s’élargir. » Au contact d’Emile Zola, il risquait de ne pas beaucoup s’élargir, mais assurément il pouvait apprendre certaines choses qui ne s’acquièrent pas toujours dans les livres.

Et d’abord, son métier d’écrivain. Les premiers romans d’Edouard Rod ont cet intérêt de nous le montrer en voie d’acquérir progressivement ses moyens d’expression. S’il a presque toujours fort bien « composé, » je ne serais pas étonné qu’il le dût à l’exemple et à la discipline de l’auteur de la Terre, et si cela est, Zola mérite toute l’affectueuse gratitude dont Rod, il faut le dire à son honneur, ne s’est du reste jamais départi à l’égard du romancier de Médan. La composition, il faut le répéter sans trêve, est, après le don d’observation psychologique, la qualité maîtresse du romancier ; elle lui est, certainement, plus nécessaire que le style. Et sur ce dernier article encore, Edouard Rod pouvait profiter et a utilement profité des leçons de Zola[1]. Zola a toute sorte de défauts ; mais il sait construire un roman, et il est un écrivain. Or, nous n’avons pas, puisqu’il les a détruits, les quelques vers que le bon étudiant vaudois apportait, en débarquant à Paris, au fond de sa valise, et il ne nous a pas conservé non plus ce drame de Lucrèce, en trois actes et en prose, qu’il comptait bien faire jouer à la Comédie-Française ; mais il nous suffit de lire les Allemands à Paris, Palmyre Veulard, — comme il a dû se savoir gré de ce nom symbolique ! — ou même Côte à Côte, pour nous rendre compte de tout ce qui manquait, ne disons même pas pour le style, mais pour l’honnête maniement de la langue, au jeune ami de Nadar et du dessinateur italien Bianco. A quoi bon insister, et relever les multiples défaillances de l’ « écriture » de ces premières œuvres ? L’essentiel est que l’initiation ait été fructueuse ; et elle l’a été.

Elle l’a été encore sur un autre point. Par sa nature d’esprit, par son éducation antérieure, Edouard Rod se trouvait mieux préparé à regarder dans sa pensée et dans son âme, à comprendre et à discuter des idées, à analyser des états moraux qu’à peindre des êtres réels, à les voir s’agiter et vivre. A l’école

  1. On trouvera quelques lettres intéressantes et amicalement encourageantes à Edouard Rod dans la Correspondance d’Emile Zola (les Lettres et les Arts), Fasquelle, 1908. — Voyez notamment la curieuse lettre sur Côte à Côte (p. 212-213) : le suet lui parait « très beau » et le livre « bien construit. »