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où il entra à l’âge de quinze ans, il scandalisait l’excellent pasteur chargé du catéchisme en lisant effrontément à sa barbe les Châtimens et des romans de Dumas père ; il s’éprenait de Musset ; bref, il se repaissait de littérature romantique. Et au lieu de se passionner comme les étudians, ses camarades du gymnase et de l’Académie, pour des discussions politiques, il écrivait dans quelques journaux locaux, et il ne rêvait rien moins que de « faire un chef-d’œuvre. » Hélas ! pour réaliser cette noble ambition, les bonnes études qu’il avait faites n’étaient point suffisantes. Les Suisses romands qui ont le goût des Lettres sont, pour percer et se faire un nom, plus mal partagés que les Tourangeaux ou les Parisiens : la langue qu’ils parlent, ou qu’ils écrivent, pâteuse, molle, souvent impropre, émaillée d’idiotismes, est bien dénuée de naturelles qualités littéraires. Ils ont besoin, plus que d’autres, d’être initiés aux vrais secrets du style, de savoir distinguer une bonne page d’une médiocre, et de rapprendre, si je puis dire, le vrai français de France. Edouard Rod trouva, pour l’y aider, l’enseignement et les conseils d’un maître fort distingué, M. Georges Renard, — aujourd’hui professeur au Collège de France, — alors professeur à l’Académie de Lausanne, à la suite des événemens de la Commune. A un autre point de vue, il eut la bonne fortune de suivre les cours de Charles Secrétan, ce subtil, original et généreux penseur, dont peut-être n’a-t-il pas subi réellement l’influence, mais qui lui ouvrit certainement de nouveaux horizons, et qui lui a, en tout cas, servi de modèle pour le portrait d’Abraham Naudié.

Cependant, le père du futur romancier, sans s’opposer à la vocation littéraire de son fils, désirait que celui-ci s’armât d’abord d’un solide diplôme. Le jeune étudiant partit compléter ses études en Allemagne. Il avait fait choix d’une thèse sur le Développement de la légende d’Œdipe : ce qu’il y a d’effroyablement tragique dans la destinée du héros grec avait de bonne heure frappé son imagination, et il n’est pas douteux qu’en écrivant son dernier livre, le Glaive et le Bandeau, il ne se soit, et très consciemment, — j’en puis témoigner, — inspiré d’Œdipe-Roi. A Bonn, à Berlin, il suivait des cours universitaires, s’ouvrait à la pensée et à la vie allemande, amassait entre temps des impressions de nature et d’art. Les minuties de l’érudition germanique le rebutaient ; mais il lisait avec ravissement