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maintenue par la force, et il attribue à cette longue habitude historique le peu de goût qu’a toujours manifesté l’écrivain pour les minorités religieuses dissidentes, pour les hérétiques, quels qu’ils fussent, — un Père Hyacinthe, même un Lamennais, — et sa sympathie pour toutes les religions d’autorité, en particulier pour le catholicisme. On pourrait tout aussi bien expliquer ces tendances par de vieilles hérédités catholiques que l’action toute matérielle, et subie plutôt qu’acceptée, d’une Réforme étrangère n’aurait pu complètement abolir. Quoi qu’il en soit, et sans qu’il y ait eu, semble-t-il, dans son cas, de crise bien douloureuse[1], quelques lectures philosophiques aidant, l’esprit de son père finit par l’emporter en lui sur les croyances maternelles. De son passage à travers le christianisme, il garda, avec la haine de tout sectarisme et de tout pharisaïsme, un respect profond pour les choses de l’âme et de la conscience, un grand besoin et un souci constant de sincérité intérieure et de moralité, une vive intelligence et une curiosité émue, presque attendrie, des manifestations de la vie religieuse, enfin un tour d’esprit volontiers idéaliste ou mystique qui, dégagé de toute préoccupation dogmatique, en toutes choses, dépassait la région des apparences, et s’efforçait d’en saisir l’intime et mystérieuse réalité. Au protestantisme proprement dit, il devait, ce semble, un certain individualisme de pensée et de sentiment, une extrême inquiétude intellectuelle et morale, le besoin de ne s’arrêter nulle part, d’essayer toutes les solutions et tous les systèmes, de pousser ses idées jusqu’à leurs dernières conséquences, pour tout dire, un certain goût de l’aventure dialectique, et même du paradoxe, et, enfin, par-dessus tout cela, un sérieux profond, une gravité d’esprit et d’âme qui perçait jusque sous la grâce et dans l’abandon du sourire.

A l’heure où nous en sommes d’ailleurs, la préoccupation littéraire, dans la pensée d’Edouard Rod, laissait bien loin derrière elle la préoccupation religieuse. Au collège de Lausanne

  1. A moins pourtant qu’il ne faille prendre au pied de la lettre, et comme un morceau d’autobiographie morale, une sorte de récit ou de nouvelle intitulée la Promenade, publiée dans la Revue des Belles-Lettres de 1880, et réimprimée dans la Semaine littéraire du 11 juin 1910. « Cette courte étude, disait Rod dans une note, est un fragment d’un livre à peine commencé (peut-être la Course à la mort), qui, s’il est achevé un jour, aura pour titre : Les transformations d’un homme. » C’est l’analyse de l’état d’esprit d’un jeune homme qui, dans une « crise terrible, » a perdu la foi, et qui ne retrouve le calme de l’âme que dans la pensée virile d’une application tout humaine du mystique : « Cherchez et vous trouverez. »