Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ville[1]. » Sa mère au contraire, qu’il perdit vers l’âge de dix ans, avait une vive imagination, et le tour de sa sensibilité inclinait à un ardent mysticisme : c’était une âme invinciblement inquiète et triste. Elle faisait partie de la secte austère et farouchement piétiste des darbystes. La maladie, qui vint l’assaillir de très bonne heure, ne fît que renforcer et qu’exaspérer ces tendances natives. On l’envoyait avec son fils, qui lui servait de garde-malade, tantôt dans la riante campagne parmi les paysans des bords du lac, tantôt « là-haut, » au pied du Jura, au sein d’une âpre et sévère nature, « toute chargée de nostalgies. « Dans Au milieu du chemin, l’écrivain nous a laissé quelques pages émues où il évoque le douloureux souvenir de ses lointains tête-à-tête avec le dur paysage, avec une mère paralytique et lentement agonisante : « J’étais un enfant Imaginatif et sensible. Ces spectacles me pénétraient sans que je les comprisse, me façonnant une âme de désir et de nostalgie... Je suis le fils d’un paysage triste et d’une malade : c’est pour cela que je n’ai pas l’âme heureuse[2]... »

Il y avait pourtant quelques bons momens dans cette vie d’enfant délicat, timide, peu bruyant, et que ses camarades trouvaient trop « fille : » c’étaient ceux, d’abord, où il apprenait à lire et à écrire dans l’école de « Mademoiselle Annette, » cette délicieuse créature dont il a tracé un si joli et si vivant portrait : c’étaient ceux ensuite où, dans la demeure paternelle, sous la surveillance inquiète et peureuse d’une amie de la famille et d’une domestique très maternellement dévouée, il lisait tous les romans qui lui tombaient sous la main. La mort de sa mère, dont il eut toutes les peines du monde à se consoler, l’entrée au collège de Nyon, « ce collège maudit » où, « puni deux fois injustement, brutalisé par ses camarades, il connut des colères impuissantes, l’indignation sans force[3], » le remariage de son père, furent, pour cette sensibilité déjà trop éveillée et trop tendre, une suite d’épreuves et de douloureuses leçons de choses. En

  1. Paul Seippel, Edouard Rod : L’enfance et les années d’étude ; — les débuts littéraires (Bibliothèque universelle, mai et juin 1910) : j’utiliserai largement ces deux excellens et très documentés articles. — Il faut joindre à cette étude celle de Mlle J. de Mestral-Combremont, en tête de la Pensée d’Edouard Rod, Perrin, 1911, et la fine et substantielle monographie de M. Firmin Roz. Edouard Rod, dans la collection les Célébrités d’aujourd’hui, Paris, Sansot, 1906.
  2. Au milieu du chemin, p. 222-231.
  3. La Course à la mort, p. 52.