Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je confie au verger natal, avec délice,
De chers rêves, afin qu’il les ensevelisse
Et les embaume ainsi qu’à l’époque où petit
Je foulais l’herbe où l’humble insecte se blottit ;
Et pourquoi, bien qu’en moi souvent un regret naisse,
Je conserve ce don d’éternelle jeunesse
Qui, sous l’azur hellène immuablement bleu,
Du Beau faisait un culte et de l’Amour un dieu.


MÉLANCOLIES DU SOIR


La tragique approche du soir
Inquiète le troupeau morne.
Et l’horizon parait sans borne,
Où l’ombre semble se mouvoir.

Une aïeule, en filant sa laine.
Guide agneaux, brebis et béliers,
Avec de vieux mots familiers.
Par tous les sites de la plaine.

Et la bande à lourde toison,
Tant que le jour tranquille dure,
Éparse broute la verdure
Qu’étoilent des fleurs à foison.

Mais, lorsque l’ombre communique
Aux êtres son frisson sacré ;
Que tout devient démesuré ;
Qu’un souffle éveille une panique.

Alors les farouches troupeaux
Sur eux, dans le silence austère,
Sentent planer quelque mystère
Et n’aspirent plus qu’au repos.

C’est pourquoi vers la tiède étable.
L’animal, qu’énerve la peur,
Par instans jette avec stupeur
Un appel grave et lamentable.