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Comme une guêpe au sein des roses satinées,
Élance-toi vers les fécondes destinées.
Grise-toi de la brise aux arômes de miel.
Mesure tes labeurs au rythme essentiel
Des saisons, dont chacune apporte tant de joie
Que l’esprit sous le faix du bonheur cède et ploie.
La vendange succède aux moissons. A leur tour,
Brillent après les mois de gel les mois d’amour ;
Et c’est comme une suite agrestement prodigue
Qui jamais n’importune et jamais ne fatigue ;
C’est comme une couronne aux rustiques travaux
De suaves trésors et de présens nouveaux ;
Comme un écroulement, dans leur gloire vermeille,
De grappes et d’épis pour l’aire et la corbeille.
Contemple aussi parfois ces témoins familiers
Dont la vue a formé ton cœur : les espaliers
Masquant le mur vétusté aux pierres vénérables,
L’orme antique du seuil, qu’encadrent deux érables
Et qui, dès le matin, tremble d’appels émus ;
Le vieux puits, le sylvain de marbre au nez camus
Dont, en un coin du clos envahi par la ronce,
La bouche se contracte et le sourcil se fronce.
Visite les ruchers prudemment épiés
Dont nul n’approche, enfant, que sur le bout des pieds.
De peur qu’au moindre bruit quelque essaim ne s’irrite.
Suis avec son agneau ta brebis favorite,
Les génisses sans longe et les poulains sans mors,
Et tu sauras pourquoi, malgré mes foyers morts
Pleins de tisons éteints et de cendres secrètes,
Les prés pour m’accueillir ont toujours des retraites ;
Pourquoi le ciel se mire à la source où je bois
Quand je cherche un refuge au silence des bois ;
Pourquoi surtout, alors que déjà l’âge austère
Incline ma pensée aux rives du mystère.
Je découvre à la vie un charme si profond
Que ma mélancolie en extases se fond ;
Tu comprendras pourquoi, dans ma fièvre sereine,
Je vais où la pieuse illusion m’entraîne ;
Pourquoi jusqu’au délire emporté par moment,
A la nature uni sans cesse étroitement.