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Tandis que les bourgeons, à la cime plus chaude,
Forment une vapeur de fluide émeraude.
Vois la fontaine avec le cresson de son lit ;
La charrue entamant le sol qu’elle amollit.
Ecoute des troupeaux la rumeur renaissante,
Quand les mâles fougueux, que le rut innocente,
Bondissent frémissans d’héréditaire ardeur.
Admire l’horizon dans sa claire splendeur,
Que bornent ces sommets aux onduleuses lignes.
Ancêtres des forêts ou nourriciers des vignes.
Puis, songe que peut-être, enfant, nous n’aurions pas
La lumière où, déjà plus souple, tu trempas
Ton corps d’acier, sans l’immolation épique
Du soleil que transperce un sanglant coup de pique
Chaque soir, et que guette encor le lendemain
L’inébranlable espoir de tout l’enfer humain.
A l’immense holocauste, enfant, je te convie.
Autant que je l’aimais nul n’aimera la vie,
Car nul n’aspirera d’un cœur plus ingénu
Avec le souffle amer et du large venu
A l’heure où l’horizon déferle en tièdes lames,
Les nobles visions et les magiques flammes
Dont s’empourprent les ciels de ma patrie. toi.
Enfant, dont je voudrais viriliser la foi.
Exalter la ferveur, accroître l’allégresse ;
Enfant que de son aile, en butinant, caresse
L’abeille qui de loin a vu ta joue en fleur ;
Dont se moque le merle espiègle au bec siffleur,
Que ton caprice en vain poursuit de branche en branche ;
Qui, dans tes jeux légers et dans ta course franche.
Evoques la nerveuse agilité des faons,
Et, rapide, éblouis l’air même que tu fends,
Crois que l’activité vaut seule qu’on la fête
Pour les sobres vertus dont sa vaillance est faite.
Crois qu’un chant du semeur que l’effort soude au soc
Fait germer et mûrir, mieux que le cri du coq,
Les moissons de lueurs dont l’aube s’auréole.
Crois enfin que le cèdre admire l’alvéole,
Et que, dès qu’a vibré l’hymne annonciateur.
Le plus imperceptible atome est créateur.