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les hommes, clos de toutes parts dans ces limites, auraient-ils pu se répandre sur la terre tout entière ? C’était pour eux une nécessité d’approfondir, puisqu’ils ne pouvaient pas s’étendre ; de créer des arts, des philosophies, des religions, puisqu’ils ne pouvaient pas conquérir la terre ! Mais, à mesure que les navires levaient l’ancre pour aller découvrir ou peupler des terres nouvelles, et que les lunettes fouillaient les espaces célestes, et que les premières richesses arrivaient en Europe, et que les nouvelles ambitions, les nouvelles convoitises s’attisaient dans les âmes, l’esprit de l’homme s’enhardissait à examiner aussi, l’une après l’autre, les limites qui marquaient les confins du Bien et du Mal, du Vrai et du Faux, du Beau et du Laid, pour voir si elles étaient solidement établies, et s’il ne serait pas possible de les transporter ailleurs et de les placer mieux ; oui, toutes, et même, et surtout celle qui était la plus universelle, la plus ancienne et la plus auguste. Dieu ! Dès lors, l’homme commença de souhaiter ardemment, non plus seulement la Richesse, mais aussi la Liberté ; il inventa les machines ; il perfectionna les sciences ; il osa se demander si le nouveau, par la seule raison qu’il était nouveau, n’était pas meilleur que l’ancien ; il rêva de beautés non vues encore et qui ne ressembleraient à aucun modèle connu, d’ordres sociaux qui s’établiraient en dehors de toute limitation conventionnelle et où le devoir deviendrait droit ; il prétendit se rendre compte de toutes choses, y compris de lui-même et de sa pensée ; il imagina plusieurs philosophies subtiles qui, sous prétexte de mettre Dieu à la place d’honneur, le transportaient aux confins de l’infini révélé par Copernic, dans un endroit où cette Limite, la plus universelle, la plus ancienne, la plus auguste et la plus commode de toutes, ne pouvait plus gêner personne... Non, les Anciens ne s’étaient pas trompés, et l’Église savait ce qu’elle faisait en condamnant Giordano Bruno et Galilée : Dieu devait passer un mauvais quart d’heure, le jour où le tourbillon de l’infini emporterait notre planète comme un grain de poussière ! Bref, l’homme commença de devenir riche et savant et, par conséquent, orgueilleux, ambitieux, intraitable et insatiable, comme l’a dit Mme Ferrero. Jusqu’à ce qu’un beau jour... Quel cataclysme ! Au son de la Marseillaise, sur les ruines de la Bastille, sur les champs de Marengo et d’Austerlitz, l’œuvre ébauchée par Colomb et par Copernic, continuée par Galilée, par