Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 14.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de feu sur la voûte de l’Univers, pour que tous les hommes le lussent et s’efforçassent de résoudre le problème ; la première des énigmes par lesquelles la nature nous attire sur les routes de l’infini vers ce but secret que, chaque soir, nous croyons avoir atteint, lorsque nous inclinons notre tête pour le sommeil, tout joyeux d’être parvenus au terme du voyage, mais qu’au matin, quand nous nous réveillons frais et dispos, nous voyons apparaître de nouveau, bien loin devant nous, de sorte qu’il nous faut reprendre encore l’éternelle pérégrination... La Vérité !

Non moins lumineuse que les constellations resplendit pour nos esprits cette réponse, dans la nuit noire. Cavalcanti et moi, convaincus tous les deux, nous gardâmes le silence, marchant sur le pont avec Rosetti au milieu de nous. Mais, au bout de quelques pas, Cavalcanti s’arrêta soudain.

— Ingénieur, dit-il brusquement, d’un ton animé, il me semble qu’à vos paroles je vois se ranimer et revivre, ici, sur le seuil de la mer ancienne, ce monde méditerranéen que parfois, Ferrero le sait ! j’avais cru mort et enseveli. Cette austère discipline de la pensée, que vous nous exposez avec une si lumineuse éloquence, — de cette pensée qui veut se limiter afin d’engendrer successivement dans le fini, avec une force précise et sûre, d’après des modèles clairs et déterminés, d’innombrables formes du beau, du bien et du vrai ; qui se garde de vouloir remonter à la source première de toutes les choses, de se lancer éperdument dans l’infini, de prétendre toucher le faîte de l’absolu et plonger au fin fond de l’univers ; — n’est-ce pas la discipline intellectuelle de la Grèce, de la Rome antique, de l’Italie et des pays latins jusqu’à la Révolution française ? Et n’est-ce pas cette pensée précise, mesurée, disciplinée, qui a donné naissance à l’épopée, à la tragédie et à la sculpture grecque, à l’esthétique et à la morale d’Aristote, à la politique et au droit de Rome, à l’art du moyen âge italien, à la philosophie de l’Eglise catholique, à la science de Galilée, à la religion de Pascal, au théâtre de Racine et de Molière ? Limitation, concentration et discipline, n’est-ce point ce qui a fait la force intime de ces prodigieuses civilisations anciennes dont les restes vénérables nous remplissent encore d’étonnement, nous les lointains neveux de ceux qui les ont faites, en dépit de l’orgueil que nous inspirent nos richesses ? Et je comprends, maintenant ! Je comprends l’immense bouleversement produit dans la civilisation