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se meuvent selon une certaine loi que l’esprit humain doit découvrir. Peu importe que les Grecs aient trop rapetissé l’univers et qu’ils se soient lourdement trompés en décrivant les positions et les mouvemens respectifs de ces corps célestes. Songez aux sornettes que, durant des milliers d’années, les hommes avaient logées dans le firmament et dans les constellations, et vous verrez le pas immense qu’a fait l’intelligence humaine vers la vérité, lorsqu’elle a formulé cette doctrine. L’idée qui vous paraît fausse, comparez-la à celle qui la précédait et qu’elle a convaincue de mensonge, non à celle qui l’a suivie et par qui elle a été convaincue elle-même de mensonge, si vous voulez comprendre combien est grande la part de vérité qu’elle a révélée à l’humanité ignorante, si vous voulez croire que le progrès intellectuel existe réellement. Car il ne saurait y avoir de progrès intellectuel si les vérités ne s’accumulaient pas, si, de génération en génération, l’homme n’enfonçait pas plus avant sa pensée dans la réalité infinie qui l’entoure, et s’il se contentait de bâtir des châteaux dans les nuages pour sa commodité et pour son agrément, ou de dessiner des arabesques conventionnelles sur la face de l’univers. Si le soleil peut tourner autour de la terre et la terre tourner autour du soleil à notre caprice et selon que cela nous est plus ou moins commode, alors, il n’y a pas progrès, il y a simplement passage, oscillation, mouvement de bascule entre Ptolémée et Copernic, avec la commodité pour point d’appui, et une force étrangère pour puissance motrice : au cas où le point d’appui et la puissance motrice viendraient à changer, il se pourrait qu’un jour l’esprit humain basculât de nouveau vers Ptolémée. Mais si, au contraire, avec Copernic, l’esprit humain a fait un autre grand pas dans les voies de l’infini vers la vérité, alors il ne peut plus rétrograder que par une crise violente et par un déchirement de lui-même ; alors la vérité conquise empêche l’homme de chercher sa commodité et son utilité dans des croyances qui soient contraires à celle-ci ; alors la gendarmerie céleste du polythéisme, à qui un univers clos et limité est nécessaire, perd tout espoir de rétablir sa domination dans l’espace. Et le firmament redevient le sublime abécédaire où nos yeux ont appris à déchiffrer le livre obscur du monde ; la première, la plus vaste et la plus sublime palestre où la pensée humaine se soit exercée à la conquête de la terre ; le premier pourquoi écrit devant nous par la nature en caractères