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minés aux replis des provinces, dépositaires des plus purs débris du passé, du plus précieux héritage, du plus secret, du plus réservé, dont le langage est capable encore de façonner lentement des âmes à leur sagesse sévère et à de graves renoncemens.

Le coin de terre où se sont déroulées les quelques circonstances de ce récit est dépourvu d’éclat et de beauté pittoresque : une prairie au bord d’une rivière, une ligne de coteaux qui la surplombe, un parc dans le bas, une étroite chapelle sur la colline. Mais, dans sa simplicité, il est de ceux qui laissent au passant comme le regret d’une intimité pressentie. Il oblige à méditer d’une certaine façon ; on devine qu’on n’y demeurerait pas en vain. Dans de pareils endroits, qui semblent naturellement désignés pour mettre leur marque sur l’esprit de ceux qui y vivent, il est rare qu’à travers le temps un moment ne survienne pas où cette volonté constante des lieux soit entendue par certaines personnes d’une façon plus forte et plus distincte ; alors elle devient tout à coup puissante sur des destinées, et d’obscure qu’elle était jusque-là et voilée et presque morte, elle entre dans une haute lumière de conscience et de réalité.

Voici, au cœur de la France, les plaines du Bourbonnais, région sans gloire, pays d’alluvions et de molles collines, aux lignes un peu effacées et fondues, enfermant pourtant dans les plis de ses coteaux mille paysages délicats. Entre Saint-Germain-des-Fossés et Moulins, l’Allier, sur une cinquantaine de kilomètres, coule dans une vallée plate, très large, où erre son lit de sable, sinueux, vagabond, et beaucoup trop large, pour ses eaux. Elle suit longtemps le côté gauche de cette vallée, au pied de collines qui déroulent sans fin le feston de leurs courbes pareilles, rondes, riantes, couvertes de vignes, et souvent coiffées d’une église et d’un village. Ces coteaux logent entre eux de brefs vallons solitaires. À divers endroits, ils sont à pic au-dessus de l’eau ; d’autres fois, l’Allier, s’éloignant un peu, laisse place à leur pied pour un ruban de prairies.

Du village de Ch…-de-N…, qui domine de haut son pont suspendu, un chemin s’éloigne qui, après être resté quelque temps parallèle à l’Allier sur la hauteur, tourne, et, par les lacets d’une pente rapide, conduit vivement sur ses bords. Là, les coteaux et la rivière, en s’incurvant un peu de part et d’autre, ont formé une minuscule plaine ovale due au hasard