l’Europe qui, à la veille de la guerre, déclarait si impérieusement que,
de quelque façon qu’elle tournât, le statu quo balkanique ne serait pas
modifié. Il l’a été cependant, et dans des proportions formidables, et il
a été alors très naturel et très légitime que les puissances le plus directement
intéressées à établir un nouvel équilibre en cherchassent
anxieusement le moyen. L’Autriche l’a fait ; la Roumanie s’est mise
en mesure de le faire à son tour. On lui a reproché dans la presse
d’émettre des exigences auxquelles on s’attendait d’autant moins
qu’elle n’avait eu aucune part à la guerre et n’avait pas tiré un coup de
fusil. Argument dangereux : c’est celui dont les Turcs, comme nous
l’avons vu plus haut, ont usé à l’égard des Bulgares qui voulaient
Andrinople sans l’avoir prise. — Qu’à cela ne tienne, ont répondu les
Bulgares, nous allons le prendre. — À force de répéter aux Roumains
qu’ils n’ont rien fait, on les expose à la tentation de faire quelque
chose. L’opinion, chez eux, est montée à un haut degré d’exaltation, et
là aussi il y a un danger. Nous ne contestons ni le droit de l’Autriche,
ni celui de la Roumanie, car l’histoire n’offre aucun exemple d’une
nation qui en ait vu une autre grossir brusquement et démesurément
sur sa frontière et ne s’en soit pas préoccupée. La politique, la diplomatie
n’ont pas d’objet plus élevé que de pourvoir à ces situations
nouvelles, et il est d’autant plus désirable qu’elles y réussissent que,
si elles échouent, il n’y a de recours que dans la force. Après s’être
demandé quel était le but que poursuit l’Autriche, on se pose la même
question au sujet de la Roumanie. La principale négociation entre la
Roumanie et la Bulgarie semble avoir eu lieu à Londres et avoir été
conduite par M. Take Jonesco et M. Daneff. A quoi a-t-elle abouti ?
A rien de décisif sans doute, puisqu’elle se poursuit encore entre
Bucarest et Sofia. C’est à Silistrie qu’est la difficulté principale. Les
Roumains demandent la ville, les Bulgares proposent seulement de la
démanteler : ils donneraient de préférence un territoire plus étendu
sur le rivage de la Mer-Noire. Les Roumains jugent la satisfaction
insuffisante et insistent pour avoir Silistrie. Les Bulgares, désireux
d’ajourner du moins la solution, usent d’un argument dont la force
est plus spécieuse que réelle : ils disent que la guerre n’est pas finie,
qu’ils n’ont pas pris Andrinople, que la ville ne leur a pas été cédée,
que le sort de la Macédoine est encore incertain et qu’il est trop tôt,
par conséquent, pour leur demander une compensation à un agrandissement
qui n’est pas réalisé. Mais les Roumains répondent que
l’agrandissement bulgare se réalisera sans aucun doute et ils pensent,
sans le dire, qu’il sera alors trop tard pour obtenir le leur. L’occasion
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