Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Flûte enchantée dont on peut dire qu’elle a glorieusement inauguré toute la musique moderne, depuis Fidelio et le Freyschutz jusqu’aux Maîtres Chanteurs et à Parsifal. Un miracle s’est produit là, incontestablement, un des miracles les plus surprenans de toute l’histoire des arts. Mais c’est que Mozart, comme je l’ai dit déjà, était alors parvenu à un moment de sa vie artistique où son âme tout entière s’était quasi rehaussée et transfigurée, peut-être sous la même influence qui, vers le même temps, avait soudain usé et vieilli son enveloppe corporelle, en attendant de la tuer quelques mois plus tard. Dans l’intervalle qui séparait la composition de la Flûte enchantée de celle de Don Juan et de Cosi fan tutte, un nouveau musicien, un homme nouveau s’était substitué au charmant jeune maître, brillant et passionné, de naguère ; le génie de Mozart s’était, en quelque sorte, dégagé de tous liens terrestres, pour planer dorénavant dans un monde surnaturel de radieuse lumière et de pure beauté, dont les échos s’étaient répandus déjà à travers toutes les œuvres composées depuis le début de l’année 1791. Or, voici maintenant qu’une occasion s’est présentée à cet « Olympien » d’aborder et de fondre ensemble, dans une grande œuvre, tous les modes divers des sentimens humains ; et voici que, pour transporter ces sentimens dans les sphères artistiques plus hautes qu’habitait désormais son génie créateur, il s’est avisé d’employer comme matériaux toutes les délicieuses inventions musicales de sa vingtième année ! Admirable coup de chance, en vérité, et d’autant plus heureux qu’il s’accompagnait encore d’autres conditions les mieux faites du monde pour favoriser le libre essor du génie poétique du maître, — parmi lesquelles je me bornerai à rappeler le ravissement que Mozart n’a pu manquer d’éprouver devant la perspective d’un genre théâtral où aucun imprésario ni aucune tradition n’allaient plus entraver les élans de son cœur ! Si bien que la composition de la Flûte enchantée a été pour lui une fête sans pareille, — sa dernière fête, mais aussi la plus exquise de toutes et la plus fructueuse. Et de là vient que toute l’œuvre nous apparaît aujourd’hui imprégnée non seulement d’une limpidité indéfinissable, dont l’équivalent ne se retrouvera que dans les grandes scènes « mozartiennes » du Parsifal de Richard Wagner, mais aussi d’une joie juvénile et céleste, — qui, celle-là, ne se retrouvera plus dans aucune musique,


T. DE WYZEWA.