Chaque jour, quelqu’un d’entre eux venait se plaindre à Jupiter, et les Muses elles-mêmes, je crois, se rendirent auprès de lui... Oui, elles s’y rendirent après que Prométhée eut inventé le gramophone et le piano électrique. Conduites par Apollon, furieuses, les cheveux épars, elles vinrent pousser les hauts cris devant le trône de Jupiter et accuser Prométhée d’avoir voulu leur faire un odieux outrage. Jupiter, soit dit entre nous, était devenu un peu ramolli, comme il arrive à tous ceux qui vieillissent dans le pouvoir ; et, au surplus, il était un peu trop distrait des affaires par Léda, par Danaé et par je ne sais plus quelle autre petite femme du demi-ciel. A cet âge-là, vous comprenez... Bref, il était devenu un Jupiter parlementaire et il disait : « Je ferai, je verrai, j’aviserai ; laissez-moi faire ; » mais, en réalité, il ne faisait rien du tout. Un jour, pourtant, les Américains eurent l’impudence de convoquer tous les Dieux de l’univers au congrès de Chicago, et, ce jour-là, Jupiter se réveilla, entra même dans une grande fureur, bouleversa l’Italie méridionale par un tremblement de terre, chassa brutalement Léda et Danaé, convoqua le conseil des Dieux, reprocha aigrement aux autres Dieux ses propres erreurs, cria qu’il était temps d’agir et se mit à tempêter contre les Titans avec sa foudre. Mais, hélas ! le rusé Prométhée avait trouvé le moyen de créer des Titans fidèles, incorruptibles, inaccessibles à la peur : il les avait créés sans cerveau. Lorsque, dans l’Olympe, on s’aperçut de l’infernal stratagème de Prométhée, ce fut un émoi indescriptible. Les hommes n’allaient-ils pas ouvrir enfin les yeux et comprendre que, pour vivre heureux, ils n’avaient qu’à adorer des dieux aveugles, sourds et muets, sans cerveau ? Vite, vite, il fallait négocier, offrir des concessions à Vulcain pour qu’en échange il imposât à ses innombrables fidèles de pratiquer aussi le culte des anciens Dieux méditerranéens. Mars, Pluton, Cérès et Bacchus se déclarèrent prêts à se mettre à l’école de Prométhée et à tout faire, la guerre, le vin, la moisson et l’or, à la machine. Minerve dit qu’elle consentait à aller suivre des cours dans une université d’Allemagne, à étudier la physique et la chimie. Vénus murmura qu’elle se résignerait à reprendre avec Vulcain la vie commune et à lui jurer fidélité. Jupiter et Junon affirmèrent qu’ils le traiteraient comme un fils qui a fait honneur à ses parens. Apollon seul, qui avait assisté à la séance avec un air de mauvaise humeur, ne voulut rien promettre et déclara qu’il se
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