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de la plupart des îles, sinon de toutes. L’occasion a paru trop bonne à Enver bey pour qu’il n’en usât pas ; il en a donc usé et il a réussi ; il est arrivé, dans le sang de Nazim pacha, à se rendre maître du pouvoir. Mais qu’en fera-t-il ? Il y a installé Mahmoud Chefket pacha, dont le rôle, dans toute cette affaire, reste encore assez mal déterminé : mais quel sera, pour les uns et pour les autres, le lendemain de cette échauffourée victorieuse ? Leur situation est tragique. Nazim était populaire dans l’armée ; son sang crie vengeance. Ce qu’une émeute militaire a fait, une autre peut le défaire. La facilité avec laquelle le dernier gouvernement a été renversé montre qu’il ne serait sans doute pas beaucoup plus difficile de renverser le nouveau. Peut-être se défendrait-il mieux, car Enver bey a montré une fois de plus qu’il était homme de résolution. Toutefois, la portée d’un revolver n’est jamais bien longue. Gardons-nous de prophétiser ce qui arrivera, car tout peut arriver à Constantinople. Le bruit court que la division est dans l’armée et que Vieux-Turcs et Jeunes-Turcs se disputent à Tchataldja. On annonce d’autre part que les anciens ministres sont arrêtés, que Kiamil pacha passera devant un conseil de guerre, en un mot que le règne de la terreur commence. Si cela est vrai, rien n’indiquerait mieux que le gouvernement sent sa faiblesse ; mais en voulant se rendre terrible, il risquerait de se rendre odieux. C’est à peine s’il est formé au moment où nous écrivons. Il a cherché des ministres et n’a trouvé que des comparses. Il aurait surtout voulu un ministre des Affaires étrangères digne d’être présenté à l’Europe : tous ceux auxquels il a fait appel, Hussein-Hilmi pacha, Hakki pacha, Osman Nizami pacha, se sont dérobés. Mouktar bey lui-même, qui était, naguère encore, simple consul à Budapest, à peine nommé ministre, s’est désisté. Le ministre des Affaires étrangères est aujourd’hui le prince égyptien Said Halim, très médiocre pis aller.

Que feront les alliés balkaniques ? S’ils écoutaient les conseils de la sagesse, ils ne feraient rien du tout : ils attendraient que le nouveau gouvernement de Constantinople s’effondrât sur lui-même, ce qui sans doute ne saurait tarder. Il suffit que l’Europe lui refuse tout secours matériel pour qu’il meure d’inanition. Mais les nouvelles de Londres font craindre que les alliés ne se soient arrêtés à d’autres résolutions. Les Jeunes-Turcs, revenus au pouvoir pour protester contre l’abandon d’Andrinople, ne peuvent évidemment pas consentir à cet abandon : dès lors, la réponse qu’ils feront à la note des puissances est d’avance facile à prévoir. La forme en sera certainement courtoise, probablement évasive, à coup sûr négative. — Nous avons