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beaucoup de secrets. On était moins fixé sur ce que répondrait la Porte. Les délégués ottomans à Londres ne cessaient pas d’affirmer que leur gouvernement ne céderait jamais Andrinople : ils allaient même jusqu’à déclarer que, quand même la ville finirait par succomber faute de vivres ou de munitions, la Porte la revendiquerait encore comme la seconde capitale de l’Empire, comme une ville sainte qui contenait les tombeaux des vieux califes, enfin comme une partie de son histoire et de son honneur à laquelle, en aucun cas, elle ne pouvait renoncer. Ce langage était bien celui que les délégués ottomans devaient tenir, et ils avaient reçu pour instruction d’y persister jusqu’au bout ; toutefois, à Constantinople même, il y avait quelque hésitation dans le gouvernement et une volonté longtemps raidie contre les injonctions impérieuses de la fatalité commençait visiblement à faiblir. Le patriotisme du grand vizir Kiamil pacha, du généralissime Nazim pacha et des autres représentans du pouvoir dans cette lutte douloureuse était hors de cause ; mais il avait fallu ouvrir les yeux à l’évidence et s’avouer à soi-même qu’on n’était plus en état de reprendre la lutte utilement. La Porte n’aurait pu le faire que si elle avait trouvé un appui auprès d’une puissance étrangère plus ou moins dissidente ; mais toutes se montraient unies et, après avoir essayé de distinguer entre elles le moindre symptôme de désaccord, il avait fallu renoncer à cette dernière espérance. Les vaincus ont tort ; la Porte était abandonnée par tout le monde. Rien de plus dur, il faut le reconnaître, que les conditions qui lui étaient imposées : aussi le gouvernement ottoman n’a-t-il pas voulu prendre lui seul la responsabilité de la réponse à faire et a-t-il réuni une assemblée de hauts dignitaires civils, militaires, religieux, un Grand Divan auquel il a soumis la question de la paix ou de la guerre. Le gouvernement, néanmoins, s’il se déchargeait sur le Divan d’une partie de la responsabilité, a assumé courageusement celle qui lui appartenait en propre : il a fait connaître la vérité. Successivement, le grand vizir, le ministre des Affaires étrangères, le ministre des Finances, le chef suprême de l’armée ont dit avec tristesse, mais avec sincérité et loyauté, qu’on était à bout de ressources. Dès lors, que faire ? Le Divan a été d’avis de céder. Une ou deux voix seulement se sont prononcées en sens contraire. La résignation était d’autant plus obligatoire que l’Europe, après avoir donné des conseils pénibles à suivre, faisait des promesses encourageantes, si on les suivait ; elle se montrait disposée à aider la Porte à se relever dans ses territoires amoindris, à lui donner l’appui financier dont elle avait besoin, à lui tendre enfin une main