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peine de la détériorer, et user de précautions très lentes et très délicates.

On a enfin et tout récemment essayé une méthode dite de la viande réfrigérée, — pour employer la terminologie adoptée par le récent congrès du froid, —méthode qui est la plus expéditive sans permettre un transport et une conservation aussi longs que la viande congelée. Elle consiste à placer d’abord la viande dans une atmosphère sèche à une température voisine de zéro, de telle sorte que le morceau ne soit pas congelé et que seule sa couche superficielle soit atteinte par le froid. Lors des dernières manœuvres de l’Ouest, on a fourni aux troupes de la viande ainsi réfrigérée, et qui, après plusieurs jours de transport en wagons et voitures non frigorifiques, a été distribuée en parfait état. Il n’est pas douteux que l’art militaire ne tire de là grand profit, et que ce procédé ne remplace à bref délai l’ancien système qui consistait à faire suivre les unités par des troupeaux qu’on abattait suivant les besoins, et dont les bêtes fatiguées par la marche et mal nourries ne donnaient qu’une viande inférieure.

En tout cas, et pour nous en tenir aux besoins de la population civile, convenons qu’il y a encore beaucoup à faire en France à ce point de vue. Ni pour les transports, ni pour les entrepôts frigorifiques nous ne sommes à la hauteur des autres grandes nations. A Paris, ou a vu dans le cours de ces derniers étés jusqu’à 10 000 kilogrammes de viande putréfiée saisis et détruits journellement aux Halles, faute de moyens de transports et de conservation appropriés. Le manque d’entrepôts frigorifiques régionaux est la cause de cette situation absurde qui fait que 40 pour 100 du bétail qui arrive de province à Paris est réexpédié en province. Tandis qu’en Allemagne il y a des centaines d’abattoirs possédant des chambres frigorifiques, combien y en a-t-il en France ? Tandis qu’aux États-Unis il y a plus de 90 000 wagons réfrigérans, il n’y en a que 360 en France dont 327 appartiennent à des sociétés ou à des particuliers.

N’y a-t-il pas quelque chose d’attristant dans le contraste entre l’ampleur que nos inventions prennent si vite dans le monde entier et la peine qu’elles trouvent à fructifier sur la terre natale ?

Tout ce que nous venons de dire de la viande pourrait se répéter presque mot pour mot des fruits, des fleurs, du lait, du beurre, des œufs, du poisson. Il y a aux États-Unis environ un millier d’entrepôts frigorifiques publics où tout cela est conservé. Grâce au froid artificiel, l’Australie et la Russie importent chaque année plus de 90 000 tonnes de beurre en Angleterre ; la Russie et le Canada y envoient pour 80 millions de francs d’œufs. Si nous n’y prenons garde, si nous ne nous