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une effrayante horde, — et séduisante, qui nous amusait comme la pittoresque arrivée d’une troupe bohémienne, — par la horde des idées étrangères, que les Grecs, si prudemment jaloux d’eux-mêmes, auraient appelées idées barbares.


Le tableau de Paris que trace M. Alfred Capus est tout à fait celui d’une ville conquise. Plaisamment faite, la satire a le caractère de la vérité. Il rappelle le temps où débarquèrent chez nous les premiers Brésiliens ; c’était sous l’Empire : et les vaudevillistes les reçurent. Puis Aurélien Scholl « consentit à dîner avec des Péruviens ; » et même, il tutoya un ancien président de la république vénézuélienne, homme d’État remarquable qui régla comme suit l’avancement des officiers : « Dorénavant, nul ne pourra être nommé général, s’il n’a pas été militaire. » Ce sont, à Paris, les débuts de la fureur cosmopolite. Puis l’américanisme a détraqué le type français de la jeune fille. Le prestige des grands génies Scandinaves et russes a troublé notre théâtre et notre littérature. « Nous avons été un instant sur le point d’admirer les Jeunes-Turcs ; il a fallu y renoncer. Mais j’avoue que la Chine m’a un peu inquiété. Quand j’ai vu éclater la révolution chinoise, j’ai cru que les salons allaient s’emballer et qu’il nous faudrait être chinois pendant tout l’hiver, sous peine de passer pour des esprits étroits. L’initiative du général Tchang, faisant décapiter tous les Chinois non porteurs de la natte, pouvait à la rigueur être l’origine d’une morale nouvelle... « Excellente caricature de la curiosité facile avec laquelle nous accueillons et nous recherchons l’exotisme, celui qui transforme la mode, celui même qui atteint les intelligences.

Mais ce critique de nos mœurs contemporaines, ne va-t-on pas l’accuser de xénophobie ? On le priera de ne pas oublier qu’une obligeante manière de convier à nos jeux spirituels les étrangers est une ancienne tradition française ; que nous avons pour institutrice continuelle, à travers notre histoire, l’antiquité d’Athènes et de Rome ; que nos écrivains classiques n’ont refusé ni l’influence italienne, ni l’espagnole ; que l’Europe entière a collaboré à la formation de notre conscience française ; et, ‘que, si Paris est, de nos jours, une ville cosmopolite, il en était une déjà au moyen âge, dès le XIIe siècle, quand Abélard sur la montagne Sainte-Geneviève enseignait toutes les nations et que l’université parisienne régissait la pensée universelle.

Seulement, elle la régissait. Et sans doute put-elle s’enrichir des présens d’idées que ses hôtes lui offraient : du moins, ce qui l’eût embarrassée,