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j’avais éprouvé quelque surprise à entendre l’amiral philosopher de la sorte.

— Et vous n’en devinez pas la raison ? me demanda Cavalcanti en souriant. Réfléchissez un peu, vous qui êtes allé à Rio... L’amiral est Comtiste !

Nous remarquâmes ensuite qu’il y avait à bord plusieurs passagers pourvus d’études et de culture, et nous fûmes ainsi amenés à parler de Rosetti. Je répétai à Cavalcanti ce que j’avais déjà raconté, le matin, à Alverighi. Puis l’entretien roula sur nos autres compagnons de voyage. Nous causâmes d’abord des marchands d’Asti, puis d’un jeune couple que nous avions rencontré plusieurs fois sur le pont, lui grassouillet, petit et brun, elle maigre, grande et blonde. Cavalcanti me raconta que le mari était un Argentin de Tucuman, qui, trois ans auparavant, était allé faire ses études d’ingénieur à l’Université d’Ithaca.

— Dans l’État de New-York ? interrompis-je. Et quel besoin avait-il de courir jusque là-bas pour apprendre à construire des maisons ?

— C’est ce que je lui ai demandé hier à lui-même, ajouta le diplomate. Et savez-vous ce qu’il m’a répondu ? Que les Etats-Unis sont le pays qui, dans les trente dernières années, a triomphé pour ce qui concerne l’industrie et les affaires.

Je repensai à cette phrase de l’amiral : « Depuis vingt ans, le monde ne tourne plus sur son ancien axe. » Cavalcanti continua de me raconter que ce jeune homme, qui était allé à Ithaca pour apprendre l’art de gagner des millions, y avait connu cette jeune femme, qui était aussi étudiante, et l’avait épousée. Maintenant ils retournaient à Ithaca, après avoir fait visite à la famille du mari. Finalement, nous en vînmes à parler de Mme Feldmann. J’exposai mes doutes sur son âge.

— Je connais peu son histoire, m’expliqua Cavalcanti. Je ne l’ai vue que quelquefois, avec M. Feldmann, dans des réceptions, à Rio. Mais je sais qu’elle a une fille qui est déjà mariée. La mère doit être plus près de quarante-cinq ans que de quarante.

Nous causâmes d’elle et de son mari. Je racontai ce qu’elle m’avait dit, la veille.

— Il y a anguille sous roche ! s’écria soudain Cavalcanti. Son mari a disparu de Rio tout à coup, depuis trois mois ; et elle,