À cette réplique la réponse était facile :
— Ils produisent, c’est vrai, dit ma femme ; mais pour produire ils ravagent. Il ne faut pas oublier que, si nous sommes riches, c’est parce qu’au lieu d’exploiter sagement l’Amérique, nous mettons à sac ses mines, ses forêts, ses territoires. Nous faisons un épouvantable gaspillage de ce que les économistes appellent les « capitaux hédonistiques, » je veux dire les richesses naturelles qui ne se renouvellent pas.
— Et puis après ? répondit Alverighi. Non licet omnibus adiré Corinthum… Pardon. Je veux dire : il n’est pas à la portée de tout le monde de saccager un continent… Nous saccageons les deux Amériques, c’est possible. Ajoutez même (je n’ai pas peur de l’avouer) que nous commençons à saccager l’Afrique, et que, dans l’avenir, nous la saccagerons davantage encore. Tant mieux ! Car en saccageant nous devenons riches, entreprenans, intelligens, et nous progressons ! Est-il vrai, oui ou non, qu’aujourd’hui nous sommes les maîtres, en gros, si vous voulez, mais, somme toute, les maîtres de la terre, tandis que, il y a trois ou quatre siècles, nous en connaissions à peine une faible partie ? Est-il vrai, oui ou non, que nous avons pénétré par les yeux, par la pensée, par le calcul, jusqu’au fond de l’immensité, dans les molécules de la matière, dans les entrailles de la nature ? Est-il vrai, oui ou non, que nous avons raccourci vingt fois, trente fois, quarante fois les distances ? que nous avons découvert les embûches les plus secrètes des maladies ? Est-il vrai, oui ou non, que désormais nous volons dans les airs comme les oiseaux et nageons sous les eaux comme les poissons ? Et aurions-nous en si peu de temps conquis la terre, l’infini, le monde des invisibles, si cette furie d’envies folles, — comme il vous plaît de dire, — suscitées par les machines, ne nous avait entraînés au bout du monde ?
Il me sembla que cet argument faisait vaciller un instant Gina, qui, non sans un peu d’embarras, répondit :
— Mais, pour juger une époque, il ne suffit pas de considérer ses œuvres. Il faut se demander encore si les idées et les sentimens qui l’animent sont nobles, généreux, raisonnables. Autrefois, quand c’étaient les hommes et non les machines qui travaillaient, une civilisation était l’œuvre de plusieurs siècles : des siècles d’éducation, d’efforts prolongés, d’infatigable labeur ! Mais, en revanche, en ce temps-là, toute civilisation arrivait à