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qui se produirait à Rodosto sur la mer de Marmara. Les délégués turcs ont écouté ces conditions draconiennes en silence, puis ils en ont demandé copie, enfin ils ont déclaré qu’ils en référeraient à leur gouvernement, ce qui leur a été accordé. Les choses vont bien, ont assuré aussitôt les journaux, puisque les Turcs n’ont pas bondi d’indignation et rompu aussitôt les pourparlers. Nous n’en sommes pas aussi sûrs que les journaux. Les Turcs ont jugé l’indignation inutile, sachant d’ailleurs très bien que les conditions des alliés étaient un maximum qui ne serait pas maintenu : ils se réservent sans doute de proposer très froidement un maximum en sens contraire, qui ne sera pas maintenu davantage. Ainsi commencées et poursuivies, les négociations pourront être longues. En réalité, les difficultés porteront finalement sur les villes que les alliés n’ont pas prises et qu’ils revendiquent tout de même, Scutari, Janina et Andrinople, surtout sur cette dernière, qui est la clé de la négociation, ou du moins qui a paru l’être jusqu’ici. Le sera-t-elle jusqu’au bout ? Les Bulgares commencent à dire que, dans la certitude où ils sont de posséder un jour Andrinople, ils auraient peut-être aujourd’hui un plus grand intérêt à demander autre chose, par exemple Salonique : et le conflit latent, à propos de cette place, entre les Grecs et eux passerait à l’état aigu. Quoi qu’il en soit, c’est sur la cession des villes que les négociations porteront le plus sérieusement, et c’est sur ce point qu’une rupture est à craindre. Toutes les grandes puissances ont conseillé à la Porte d’en faire le sacrifice et il faut souhaiter qu’elle le fasse en effet. Dans le cas contraire, les hostilités reprendront : alors nous mettrons volontiers notre espérance dans la médiation dont a parlé M. Poincaré. Mais, pour être efficace, cette médiation devra être, dans une certaine mesure, imposée : si elle est seulement offerte, il est à craindre qu’elle n’ait le même sort que par le passé. Et pour qu’elle prenne ce nouveau caractère, il faudra que toutes les puissances soient d’accord pour le lui donner. Le seront-elles ? Nous dirons à notre tour que c’est le secret de demain.

Jusqu’ici l’accord des puissances a été complet : c’est ce qui résulte, non seulement de l’unanimité qui s’est produite entre les ambassadeurs à Londres, mais des déclarations que les divers ministres des Affaires étrangères ou présidens duc Conseil ont faites dans les discours auxquels nous avons déjà fait allusion. Celui de sir Ed. Grey a eu seulement pour objet d’ouvrir les négociations de Londres : il a été plein de bons souhaits, mais aussi de réserve. Celui du marquis de San Giuliano a fait l’éloge de la Triple-Alliance, qui venait d’être renouvelée et