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avait faite, au profit de la Serbie, de territoires sur lesquels elle avait eu certainement des projets, — et même des droits, s’il s’agit du Sandjak de Novi-Bazar, — enfin l’abandon de ses vues anciennes sur Salonique étaient des sacrifices dont il fallait lui savoir gré. En revanche, l’Autriche a fait entendre qu’elle tenait essentiellement à ce que l’Albanie fût déclarée autonome et à ce que la Serbie n’eût qu’un débouché commercial, sur l’Adriatique. Sur ces deux points, était-il impossible de s’entendre ? On a bien vu que non, puisqu’on s’est entendu aussitôt que la Conférence des ambassadeurs à Londres a ouvert ses travaux. La Conférence des ambassadeurs n’a pas décidé, puisqu’elle n’a pas le droit de décision, mais elle a émis l’avis que l’Albanie devait être en réalité indépendante sous la suzeraineté nominale du Sultan et sous le contrôle effectif de l’Europe entière, et que les Serbes n’auraient qu’un débouché commercial sur la mer. Ils y accéderont par un chemin de fer international et y jouiront de la franchise douanière. Cet avis a été émis, qu’on le remarque bien, à l’unanimité, c’est-à-dire par l’ambassadeur d’Autriche comme par ses collègues. Il n’est pas douteux que les uns et les autres avaient des instructions de leurs gouvernemens et dès lors, si ces gouvernemens ne sont pas dès aujourd’hui liés officiellement, matériellement, ils le sont moralement. Quant à la Serbie, elle avait déclaré par avance qu’elle se soumettait à la décision de l’Europe, et on ne voit d’ailleurs pas comment elle pourrait s’y soustraire, lorsque cette décision est unanime. L’Autriche est-elle satisfaite ? Il faut le croire, puisqu’elle n’a pas demandé plus et qu’elle a eu ce qu’elle demandait. Ses journaux ont d’ailleurs enregistré le succès qu’elle a obtenu, et qui est très réel. Sans doute, toutes les questions ne sont pas résolues, toutes les difficultés ne sont pas dénouées ; il reste à délimiter le territoire de l’Albanie, ce qui ne se fera pas sans quelques tiraillemens ; mais le premier pas était celui qui devait coûter le plus ; puisqu’il a été heureusement fait, il est permis d’espérer que les autres seront plus faciles, à la condition, bien entendu, qu’on continue d’y apporter de part et d’autre la même bonne volonté. Et pourquoi ne continuerait-on pas ? Les ambassadeurs sont entrés dans la bonne voie ; ils y persévéreront.

Cela étant, tout le monde, avec une sorte de mouvement instinctif, s’est tourné du côté de l’Autriche pour voir ce qu’allait devenir sa mobilisation. Elle avait déjà paru disproportionnée avec le but à atteindre, quand ce but était l’indépendance de l’Albanie et le port commercial de la Serbie sur la mer Adriatique : que devrait-on en penser aujourd’hui, si elle était maintenue telle quelle ? Personne