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Je l’espère, sans en être bien sûr. Je ne puis savoir dans quelle mesure les manifestateurs s’entendaient, sinon avec Gambetta, du moins avec son mauvais génie, le policier... Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’à la même heure il méditait une chose bien autrement grave et que, heureusement pour nous et pour lui, il n’a pas exécutée.

Tu connais le différend qui s’élevait entre Paris et Bordeaux à propos des élections. Il remontait très loin et il avait commencé il y a trois mois, lorsque, pour la première fois, il avait été question d’armistice et d’élections. Les exclusions, jointes au décret qui destituait des magistrats, mettaient le comble à la mesure. Paris entendait que les élections fussent absolument libres : les Bonaparte eux-mêmes étaient éligibles. On a envoyé Jules Simon pour faire exécuter le décret de Paris. Simon arrive : on lui refuse le Journal officiel, les journaux qui insèrent sa protestation sont saisis. Bref, dimanche, les choses en étaient à ce point de savoir si Gambetta ferait arrêter Simon ou Simon Gambetta. Gambetta avait la force : ses amis lui conseillaient un coup d’Etat pour la nuit du dimanche au lundi. Une liste d’une quarantaine de personnes, en tête desquelles se trouvait Thiers, avait été dressée : on devait les arrêter, les écrouer à Blaye, proclamer la guerre à outrance, rompre l’armistice et s’en aller au besoin à Lyon ou à Marseille. Gambetta a eu le bon sens de s’arrêter. Il a donné sa démission, et l’arrivée d’une grande partie du gouvernement de Paris a rétabli les choses. — Je passe une foule de détails, l’intervention humiliante, mais inévitable de Bismarck, la création d’un journal gambettiste qui élève le gambettisme à la hauteur d’une cinquième dynastie, les déclamations odieuses contre Paris, les accusations de trahison, tout le cortège des basses injures. Je ne tiens à insister que sur un seul point. Il est absolument faux que l’armistice ait compromis l’armée de l’Est. Elle était perdue auparavant et décidée à se jeter en Suisse où les mesures étaient déjà prises pour la recevoir. L’armistice et la dépêche envoyée à Bordeaux sont l’œuvre du général Beaufort d’Hautpoul que Jules Favre avait emmené avec lui. Pauvre Favre ! Je l’ai vu hier. Il était venu ici pour déposer ses pouvoirs entre les mains de l’Assemblée. Il était courbé et pâle, vieilli de dix années. « J’ai couvé Paris pendant cinq mois, » dit-il à Thiers en arrivant. J’ai pu saisir, trop rarement, quelques fragmens des rapports confidentiels