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pays a reculé quand il a pu craindre sérieusement l’accession des socialistes au pouvoir. Nous disons le pays, et il ne peut y avoir cette fois aucun doute à ce sujet. C’était une prétention des libéraux d’y avoir la majorité réelle : ils l’évaluaient à 1 259 000 électeurs contre 1 222 000 aux catholiques. S’ils étaient en minorité à la Chambre, c’était à cause du découpage du territoire en circonscriptions électorales artificielles. Ils ne peuvent plus en dire autant depuis le scrutin du 2 juin, où les catholiques ont eu 1 375 000 voix contre 1 240 000. La Belgique n’est pas encore prête, comme la France, à avoir des socialistes dans le gouvernement, et peut-être notre exemple n’est-il pas fait pour l’y prédisposer.

On discute beaucoup sur les conséquences probables qu’aura le scrutin du 2 juin. Les catholiques déclarent très haut qu’ils n’abuseront pas de leur victoire et qu’ils seront non seulement plus tolérans, mais plus libéraux que jamais. Nous le souhaitons, sans être sûrs que ces bonnes dispositions, quelque sincères qu’elles soient, puissent pleinement se réaliser, car, dans un parti, la fraction la plus ardente prend quelquefois la tête et entraîne le reste. Quant aux libéraux, il est possible que les plus modérés d’entre eux, les plus éloignés des socialistes, se rapprochent des catholiques les plus modérés aussi, pour former ce qu’on a appelé autrefois chez nous un tiers parti, ou un centre droit, ou un centre gauche ; mais, pour le moment, on est encore à la première surprise causée par le scrutin et aucun mouvement parlementaire ne s’est encore esquissé dans un sens ou dans l’autre. Il y a eu, dans quelques villes, des échauffourées sans grande importance, bien que le sang y ait coulé : le calme a été vite rétabli. La leçon des élections belges est qu’il est dangereux pour un parti, qui est en somme un parti bourgeois, de conclure une alliance et de faire un pacte public avec un parti révolutionnaire. Il faut au moins, pour en arriver là sans provoquer une réaction, ménager les transitions et donner peu à peu aux esprits de nouvelles habitudes : sinon, le pays regarde, s’étonne, s’effraie et ne suit pas.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.