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des élémens de diverses époques ; des notes extravagantes ou tragiques ont été ajoutées par Rousseau aux heures de pire détresse morale. Il serait bon, pour la pleine intelligence du texte, que ces différentes parties fussent distinguées et datées. Si sincères que soient les Confessions, en dépit du maladif orgueil qui semble en fausser même les plus cyniques aveux, il y a une « confession, » sinon toujours plus sincère, du moins plus sûre, c’est la « confession » des Lettres. Celles de Rousseau ne valent certes pas celles de Voltaire pour la richesse ou l’agrément. La plupart pourtant, même les plus travaillées ou les plus guindées, sont d’une ingénuité, d’un élan, d’une émotion, où l’homme se révèle tout entier. Je me demande si les recueils les moins incomplets de cette Correspondance nous en livrent plus de la moitié, j’entends des lettres aujourd’hui connues. L’histoire des œuvres de Rousseau est écrite presque tout entière dans ses lettres à son éditeur Marc-Michel Rey : le volume qui les contient est épuisé. — Pour pénétrer dans la vie intime de Montmorency, de Motiers, et de Wootton, pour connaître surtout les premières impressions de Rousseau et toutes sincères, ses lettres à Mme de Verdelin sont précieuses par la confiance abandonnée de « leurs longs verbiages, » par leur enjouement, par « leur style tendre jusqu’à la familiarité : » il faut les aller chercher dans un recueil déjà ancien, et introuvable aujourd’hui, L’Artiste de 1840. — Les dix dernières années de Jean-Jacques, — non pas l’angoissante tragédie, qui se déroule dans le profond et l’obscur de son âme, et qui n’affleure au jour que par intervalles, — mais la vie extérieure et si paisible en apparence, le train-train quotidien de ce petit ménage ouvrier, si propre et si rangé, dont les plus gros soucis sont des soucis de linge ou de cuisine, et qui n’a pas d’événemens plus considérables à enregistrer qu’un bon repas avec des amis, une chanson fredonnée sur l’épinette, les comptes avec la « coquetière, » le déménagement des poules qu’on ne veut pas abandonner, la promenade dans les champs, d’où l’on revient les mains pleines de fleurs pour l’herbier, — toute cette idylle d’une sénilité attendrie, est contée avec un grand charme d’innocence dans ses lettres à Mme Boy de la Tour et à Mme Delessert, sa fille ; mais ces lettres[1] forment deux recueils séparés, et l’un d’eux a eu un tirage très

  1. On les retrouvera, en partie, dans la Revue des 1er septembre et 1er octobre 1908, où elles ont été publiées par M. Philippe Godet.