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grande maison pareille à beaucoup d’autres et où sont pareilles entre elles toutes les journées, pareilles, monotones et tranquilles.

Le long des glaces, sur les cheminées, il y a des rangées hautes de portraits : photographies qu’a rendues le temps plus ou moins jaunes, plus ou moins pâles, et daguerréotypes qui miroitent. Les visages y apparaissent par instans ; on les perd et on les retrouve. Ils sont analogues ; et leur série entr’aperçue laisse dans la mémoire le visage de la famille. La ressemblance continue sur le visage des personnes vivantes qui, dans cette maison, vont et viennent avec peu de bruit.

Ce sont des personnes âgées et jeunes ; et, les plus jeunes, on devine, en regardant les autres, comment elles vieilliront, au long des journées pareilles.

L’éducation, je me la figure encore sous les espèces d’une image d’Epinal, dont les divers tableaux, — mais coloriés avec le moins d’éclat possible, — noteraient les divers épisodes de l’existence quotidienne, dans cette maison de province, très surannée, et autour de cette maison, principalement à l’église. Les épisodes de prière seraient nombreux ; la messe matinale, fréquente.

Il y a un bonhomme de professeur, à la physionomie indulgente : sur une planche noire, il inscrit des chiffres, des modèles d’écriture et des déclinaisons latines ; car il n’enseigne que cela, puis des nomenclatures de géographie.

Il y a ensuite un collège, qui est un ancien couvent de Génovéfains ; il y a des heures d’étude, qui sont un loisir de rêve extrêmement vague. Par des fenêtres munies de barreaux, il entre des rayons de soleil, dans lesquels dansent vos fantômes ensorcelans, Nausicaa, jeune fille décente, et vous, Didon, plus avertie, et vous, Cymodocée, que menait à la religion l’amour d’un jeune homme. Il y a des rangs d’écoliers qui se forment au roulement du tambour ; il y a une discipline assez militaire, et du désordre ; il y a l’enseignement du paganisme donné à des petits chrétiens fervens et qui ne voient pas dans Virgile un prophète.

Il y a des rentrées à la maison, des vacances, des dimanches mornes. Et il y a les deuils de la maison. Et il y a des récits de la guerre, qui est une récente aventure, à propos de laquelle se crispent les petits poings, s’exaltent les imaginations chétives.