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au monde. Mais enfin, le bonheur n’était pas le seul objet, ou l’objet principal et avoué, de tout l’effort pédagogique. Il accompagnait autre chose ; il n’était pas le tout. On ne parlait pas de lui ; on y pensait : on ne pensait pas qu’à lui, on n’osait pas.

Et voici l’éducation fondée sur l’idée du bonheur.

Au surplus, ce n’est pas un reproche que j’adresse à M. Marcel Prévost : je note son discernement.


Platon voulait que l’éducation « rythmât » les âmes. En d’autres termes, il voulait que les âmes d’un siècle et d’un pays fussent, par l’éducation, accordées, de telle sorte qu’il résultat, de leur accord, une harmonie.

Ce fut assurément l’intention de l’auteur des Lettres à Françoise ; et il se sépare ici de Jean-Jacques, dont il goûte infiniment l’Émile. Car le jeune Emile est un isolé dès l’enfance ; il sera, dans la vie, un isolé. Le fils de Françoise, non. Il aura été mis, par son maître, en mesure de lutter parmi ses contemporains ; il aura été, par lui, pourvu de qualités analogues aux leurs, plus fortes peut-être, et de même espèce ; il aura été muni des mêmes armes, plus solides sans doute et qu’il maniera mieux. La pédagogie de M. Marcel Prévost ne tend pas à l’exception, mais à la règle.

Rythmer les âmes ; et les accorder. Seulement, l’idée en vertu de laquelle on les accordera, où la trouver ?

Il y a deux systèmes ; — il y en a mille, — et c’est-à-dire qu’il y en a, notamment, deux. Cette idée, on peut l’emprunter à la philosophie ou bien à la réalité.

La philosophie la donnera plus belle et pure. Mais alors, il faut que le pédagogue s’établisse, premièrement, apôtre et, avant d’appliquer sa méthode, répande sa doctrine. Il sera vieux, et mort, quand il n’aura encore rien fait.

Qu’il s’adresse donc à la réalité tout de go ; et qu’il y cherche l’idée régnante, l’idée universelle en vertu de laquelle il pourra accorder les âmes, les rythmer.

C’est ainsi, ou je me trompe, qu’a procédé M. Marcel Prévost ; et il devait procéder ainsi, pour être efficace.

Or, quelle est aujourd’hui l’idée universellement régnante ? Aucune époque ne fut moins unanime ; aucune, plus éparpillée.