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rédigèrent des journaux en arabe et en français, prirent modèle sur les « Jeunes-Turcs ; » ils affectent, on doit le dire, un grand loyalisme envers la France, dont ils se proclament les reconnaissans sujets ; ils envoient des adresses patriotiques quand l’occasion s’en présente ; ils s’inscrivent pour nos aéroplanes militaires. On leur prête, néanmoins, souvent des sentimens panislamistes, et divers incidens indiquent que certains n’en sont pas exempts.

L’expédition des Italiens en Tripolitaine est venue ajouter un nouveau ferment de discorde dans la jadis si calme Tunisie. Les Italiens, qui sont déjà peu en faveur dans la partie basse de la population arabe, parce qu’ils sont avec elle en concurrence pour la main-d’œuvre, furent accusés d’avoir une attitude arrogante à la suite de ce qu’ils proclamaient les victoires de leurs compatriotes. Nous ne narrons pas les pénibles incidens récens, l’échauffourée indigène du mois de novembre à propos d’un cimetière musulman, le boycottage des tramways de Tunis par la population arabe, les mesures prises par le bey, en vertu de ses pouvoirs traditionnels, à l’instigation du résident général, internant plusieurs « Jeunes-Tunisiens » connus soit dans des provinces écartées de la Tunisie, soit même en France.

Ces mesures étaient conformes au droit beylical ; à ce point de vue, on ne peut aucunement les critiquer ; peut-être aussi les circonstances les exigeaient-elles ou, tout au moins, les excusaient. Il n’en est pas moins vrai que, en France, elles ont provoqué des critiques dont il faut tenir compte. Si nous poussons les indigènes à s’instruire, si nous les nourrissons des célèbres principes de 1789, si nous les portons à prendre des grades dans nos écoles et nos universités, il devient difficile de les soumettre, sans atténuation et sans garantie, au vieux code beylical et d’admettre qu’on puisse, sans les avoir entendus, les interner ou les déporter. Une réforme à effectuer serait de constituer une juridiction rapide, mi-partie indigène, mi-partie française, qui, en pareil cas, après avoir entendu les inculpés, prendrait à leur égard des mesures de répression en les motivant.

Nous ne sommes pas, néanmoins, très inquiet de l’antagonisme, en Tunisie, entre les Arabes ou plutôt les « Jeunes-Tunisiens » et les colons. Les griefs des uns et des autres ne sont pas très profonds et n’ont rien d’irrémédiable. La situation de la Tunisie est, à ce point de vue, très supérieure à celle de