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un peu auparavant, l’opinion publique en France s’est retournée et tout en témoignant aux colons la plus vive sympathie, elle se préoccupe davantage de la masse d’êtres humains sept fois plus considérable au milieu de laquelle ils se trouvent. La loi radicale de constitution de la propriété privée parmi les Arabes a dû être abandonnée. Quelques crédits concernant les indigènes ont été créés ou accrus : au point de vue judiciaire et administratif, on leur a fait quelques concessions. Néanmoins, leur part semble encore bien insuffisante à nombre d’observateurs. Au Parlement, ils ont quelques zélés défenseurs ; dans la presse, des feuilles importantes et pondérées, le Journal des Débats, le Temps, celui-ci avec une grande ardeur, recommandent les intérêts et les droits de nos sujets indigènes à la sollicitude de la métropole. Nous-même, depuis un quart de siècle, sans jamais attaquer les intérêts et les droits particulièrement respectables des colons, nous avons signalé les réformes que nos sujets musulmans pouvaient réclamer[1].

Sans mettre aux prises, en antagonisme aigu, ni surtout sacrifier l’une à l’autre les deux catégories de la population, si inégales par le nombre, les colons européens, qui sont environ 700 000 (armée et israélites non compris) et nos sujets musulmans, qui sont 4 700 000, ceux-ci prépondérans par la quantité, ceux-là par l’activité et l’impulsion au progrès, il y a toute une œuvre délicate et graduelle de péréquation en quelque sorte et de conciliation à effectuer.

La place nous manquerait pour dresser ici le bilan des charges respectives des indigènes et des colons. En laissant de côté les impôts indirects, les plus convenables aux sociétés naissantes, et les droits d’enregistrement et de timbre, qui ont une relation approximative, les premiers avec la consommation, les seconds avec soit la fortune acquise, soit l’activité économique, nombre d’observateurs sont frappés de l’inégalité des impôts directs pour les deux catégories de la population. Il ne peut être question d’unifier les impôts pour les indigènes et les colons. Les impôts dits arabes, l’achour, le zekkat, la lezma et l’hokkor, dîmes sur les céréales, taxes sur le bétail et capitation, sont consacrés par la loi religieuse, par la tradition et par l’accoutumance. Nous éprouvons en France toutes les difficultés,

  1. Voyez, outre nos ouvrages, notre article dans la Revue des Deux Mondes du 1er mai 1906 : La France dans l’Afrique du Nord : Indigènes et Colons.