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la rive droite de la Moselle étant une idée abandonnée virtuellement, il n’y avait à opter qu’entre la défensive manœuvrière sur les plateaux de la rive gauche ou la retraite sur Paris après un arrêt à Châlons. L’opinion de l’Empereur n’était pas douteuse. Dès le lendemain de Wœrth et de Forbach il avait voulu la retraite sur Châlons, qui, dans sa pensée, était l’étape vers Paris. Mais il s’était produit dans l’armée une révolte violente contre cette reculade. Cette révolte avait été dans un cas semblable celle de Turenne. Il était dans le Palatinat, maître des deux rives du Rhin, lorsque les ennemis, avec une armée deux fois plus forte, passèrent le Rhin à Mayence menaçant d’envahir l’Alsace. Louvois ordonna à Turenne de se replier sur la Lorraine. Turenne écrivit au Roi : « Si je m’en allais de moi-même comme V. M. me l’ordonne, je ferais ce que les ennemis auront peut-être de la peine à me faire faire. Quand on a un nombre raisonnable de troupes, on ne quitte pas un pays encore que l’ennemi en ait beaucoup davantage. Louis XIV donna à Turenne entière liberté. Mais Napoléon III n’était pas Turenne ; la retraite sur Châlons et Paris représentait le seul parti qui convînt à son état de corps et d’esprit.

Il était, du moins, un point sur lequel aucune résistance ne l’aurait gêné : c’est la nécessité du passage immédiat de la rive droite sur la rive gauche de la Moselle, qui pouvait alors s’opérer tout à l’aise. Il ne s’y résolut pas ; il sembla garder encore une idée d’offensive, maintint Bazaine à Borny et resta à cheval sur les deux rives du fleuve. On eût dit qu’il attendait, pour donner aux Prussiens la facilité de le tourner et de l’enlever. Les piétinemens du début de la campagne nous avaient été funestes ; les piétinemens que nous recommencions depuis le 6 août achevaient de ruiner notre armée et de décourager l’initiative de nos chefs. Et cependant, on ne peut plus prétendre que du 6 au 12 août les incertitudes du quartier général fussent imposées par l’incomplet de la mobilisation. Elle était maintenant plus qu’achevée en vivres, munitions, etc., et les quelques manques encore existans étaient inévitables dans tout rassemblement d’hommes ; on les signalait aussi dans l’armée prussienne.

Bien des fois j’ai voulu taire ces détails navrans. Mais je n’ai pu m’y résoudre : les générations futures ne doivent pas ignorer, afin que leur confiance se ranime, qu’en 1870 nous avons été perdus par une série non interrompue d’aberrations, de défaillances