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comme la corde d’un arc qui va lancer le trait empoisonné, gagna la tribune d’un pas solennel. Là, laissant tomber lentement chacune de ses paroles, sans son hoquet fatigant, d’une voix contenue, mais dans laquelle on sentait le grondement sourd de l’invective prête à jaillir, il demanda : 1° que des arme » fussent immédiatement distribuées aux mairies de chaque arrondissement à tous les citoyens valides inscrits sur les listes électorales et que la garde nationale fût réorganisée en France dans les termes de la loi de 1831 ; 2° qu’un Comité exécutif de quinze membres, choisi dans le sein de la Chambre, fût investi des pleins pouvoirs du gouvernement pour repousser l’invasion étrangère. A l’appui de sa proposition, il reprit son thème, malheureusement juste, sur l’insuffisance du commandant en chef et sur la nécessité de concentrer les forces militaires entre les mains d’un homme qui ne fût pas l’Empereur. L’Empereur devait abandonner le quartier général ; il ne devait pas commander en chef, « il a été malheureux, il doit revenir. » Puis, par une de ses contradictions habituelles, après avoir établi que les revers sont dus uniquement à l’insuffisance d’un commandement auquel les ministres sont étrangers, il les impute à ces ministres. « L’Invasion, dit-il en nous désignant, ne serait pas convenablement repoussée par les hommes qui sont sur ces bancs, qui ont perdu déjà deux provinces, et qui, grâce à leur ineptie, perdront le reste. » Une vive approbation et des applaudissemens soulignèrent à gauche ces paroles que rendait plus significatives l’adhésion silencieuse du Centre et de la Droite, Mais alors Jules Favre, laissant les ministres, revient à l’Empereur et propose son renversement : « Il faut, si la Chambre veut sauver le pays, qu’elle prenne en main le pouvoir. »

Cette fois, plus de ces périphrases dans lesquelles l’orateur emmiellait ses perfidies. Sa pensée est à découvert : « Plus d’Empereur ni à l’armée, ni au gouvernement. A l’armée, il sera remplacé par un général, le « glorieux Bazaine, » au gouvernement, par une commission du Corps législatif composée de quinze membres. Il ne restait qu’à ajouter : « Plus d’Empire. » Cette conclusion impliquée dans ses paroles, l’orateur crut prématuré de la dégager. Il attendait les prochains désastres.

Tant que l’orateur n’avait vilipendé que les ministres, la Droite avait été patiente et complice. Quand il visa l’Empereur et surtout l’Empire, elle se réveilla, et son attitude indignée