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justification inutile. Je ne me préoccupai que de conjurer la honte et la démoralisation qu’eussent entraînées en ce moment des récriminations personnelles, qui eussent vite tourné à l’injure et au scandale, et, répondant à la notification muette d’abandon par laquelle le Centre et la Droite approuvaient les emportemens des Gauches, je repris avec une gravité dédaigneuse : » Je vais donner à ma pensée une forme plus nette. La Chambre manquerait au premier de ses devoirs, si elle restait derrière nous, ayant dans l’esprit ou dans le cœur la moindre défiance. (Nouvelles exclamations à gauche.) Je lui demande donc, — et c’est la seule prière que je lui adresse, en montant peut-être pour la dernière fois à cette tribune... (Un membre à gauche : Nous l’espérons bien pour le salut de la patrie ! — Réclamations sur divers bancs.) J’adresse une dernière supplication à la Chambre : ne perdons pas notre temps en discussions. ! Agissons ! Si vous croyez, — et Dieu sait avec quelle ardeur nous soutiendrons les hommes que vous honorerez de votre confiance, — si vous croyez que d’autres plus que nous peuvent offrir à vous, au pays, à l’armée, à la défense nationale, les garanties dont elle a besoin, ne discutez pas, ne faites pas de discours ; demandez les urnes du scrutin, et jetez les boules signifiant que nous n’avons pas votre confiance ; qu’aussitôt, un nouveau ministère s’organise ; qu’il n’y ait aucune suspension dans l’action publique. Croyez-moi, retenez ce qui n’est que retours en arrière et récriminations. Nous ne voulons pas nous soustraire à vos accusations, nous vous appartenons ; vous nous reprendrez quand vous voudrez, nous serons toujours là pour subir vos reproches et vos anathèmes. Mais, je vous en supplie, aujourd’hui, à l’heure actuelle, ne songez qu’au péril public, ne songez qu’à la patrie. Renvoyez-nous, si vous voulez, tout de suite et sans phrase, car ce qu’il faut, avant tout, ce n’est pas pérorer, ce n’est pas discuter, c’est agir ! »

Cette scène révélait avec une telle évidence les dispositions de la Chambre que, sans attendre davantage, Schneider envoya aux Tuileries Bouilhet, avec mandat de dire que le ministère allait être renversé, qu’il était nécessaire qu’il n’y eût point d’intérim et qu’on fit appeler sans retard le comte de Palikao, l’homme de la situation. Lui-même viendrait, au sortir de la séance, parler de la composition d’un ministère nouveau.