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d’autant plus de fermeté d’âme que, dans cette occasion surtout, l’ordre c’est le salut... »

Pendant que j’étais aux prises avec les insultes et les interruptions grossières de la Gauche, la Droite et même le Centre étaient demeurés immobiles, silencieux. Parvenu au terme de l’exposé dont j’étais chargé de donner lecture, je fis un appel direct à leur appui : « Maintenant, messieurs, en réponse aux interruptions que j’ai recueillies pendant une lecture que je ne devais pas discontinuer, un seul mot, et pour n’y plus revenir. Les circonstances sont telles que ce serait manquer à ce qu’on doit à la patrie que de mettre une minute la discussion sur les personnes. (Exclamations ironiques à gauche.) Il est un temps de parler pour des hommes de cœur, et il est un temps de se taire. Pour nous, ministres, en ce qui nous concerne personnellement, c’est le temps de se taire. Qu’on nous accuse !... Nous ne sommes pas vaincus, grâce au ciel, mais nous paraissons l’être... Qu’on doute de notre capacité à soutenir le poids des événemens... (A gauche : Oui ! nous en doutons !...) qu’on accumule les reproches et les paroles cruelles, nous garderons le silence le plus complet. Nous ne répondrons que lorsqu’il s’agira de défendre les mesures que nous proposons ou d’écarter celles que nous croyons nuisibles. Et si la Chambre ne se place pas derrière nous... » À ces mots, la Gauche et le Centre gauche éclatent en cris furibonds. Je me retourne vers la Droite et le Centre, en espérant un secours. Ils demeurent plus que jamais silencieux et glacés. Ils nous livraient.

Alors tout mon sang reflua au cœur et une vision d’épouvante se dressa devant moi. Je vis la discorde civile déchaînée, l’étranger aidé par les fureurs des partis, la défense nationale compromise, l’Empire renversé, la patrie démembrée, la gloire et la grandeur perdues. Je chancelai et je me serais affaissé sur moi-même, si je ne m’étais cramponné au marbre de la tribune ; sans le répit que m’accordèrent les interruptions prolongées, je n’aurais pu articuler une parole.

Je parvins cependant à me ressaisir, et, sous une apparence de calme glacial, où ils voulurent voir de l’insouciance, je cachai les bouillonnemens de ma fièvre intérieure. Je changeai le mouvement de mon discours. J’avais promis à l’Impératrice de ne pas poser la question de confiance. L’attitude de l’assemblée la posait contre moi : je l’acceptai. Seulement, je n’essayai pas une