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point de départ, à savoir que l’Italie, même si on lui donne la Tripolitaine, devra encore s’en emparer. Rendre les îles à la Porte ne sera pas non plus facile, si l’occupation se prolonge : les populations y répugneront et on aura semé dans l’Archipel une douzaine de questions crétoises. L’avenir reste aussi confus que jamais.


Pendant ce temps les esprits travaillent dans le monde et on assiste à des évolutions d’opinion qui ne sont pas pour nous sans quelque surprise. C’est surtout en Angleterre que ce phénomène se produit de la manière la plus intéressante pour nous, car nous entrons pour une part considérable dans les préoccupations qui y agitent en ce moment l’opinion. Le temps n’est plus où un ministre anglais exaltait avec une admiration complaisante le splendide isolement de son pays : le mot ferait aujourd’hui l’effet d’un paradoxal anachronisme, car c’est d’une alliance qu’on parle et on se demande si elle ne serait pas utile, peut-être même nécessaire. Une alliance ! C’était devenu une sorte d’axiome de la politique anglaise qu’il fallait éviter d’en conclure, soit qu’on se sentit assez fort pour s’en passer, soit qu’on conservât la confiance de pouvoir conclure au dernier moment, sous le coup d’obligations immédiates, les accords effectifs que les circonstances comporteraient et imposeraient. Mais les choses ont pris un autre aspect. Les moyens d’action des Puissances se sont prodigieusement développés et compliqués et ces immenses mécanismes ne peuvent être mis en mouvement, ou du moins l’être avec succès, que grâce à une longue et patiente préparation. L’Angleterre n’est plus seule sur les mers. La flotte allemande, devenue en quelques années la seconde du monde, continue de s’accroître avec une rapidité qui impose à l’Angleterre, pour conserver son avance sur elle, des sacrifices de plus en plus lourds. Les pacifistes anglais, qui ont rêvé d’une entente avec l’Allemagne en vue de la modération des armemens, ont marché de déception en déception et leurs chimères ont fini par se dissiper Pendant qu’elle cause, l’Allemagne continue d’armer toujours davantage : si elle cherche à endormir l’attention de ses rivaux, la sienne ne se ralentit jamais. L’Angleterre comprend désormais à quelle activité, à quelle ténacité elle a affaire et M. Winston Churchill a déclaré que toute entente navale était inutile, l’Amirauté étant résolue à proportionner ses constructions à celles de l’Allemagne, de manière à conserver toujours la même supériorité. La question devient alors une question d’argent et, certes, l’Angleterre est riche ; mais l’Allemagne l’est devenue, et ce n’est pas sans tristesse qu’on songe